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Au gré de la plume
27 juillet 2019

Bastos

 

Bastos

Yaoundé_1 

(le centre de Yaoundé)

 

...

tertet

Pour le moment ça m'amuse, profitons-en. En société comme disent les rigolos (bien que récemment je n'ai plus entendu ce "en société",se perdrait-il?),en société il m'arrive de me laisser aller à raconter une anecdote ou l'autre.Peut-être que mes malheureux et obligés auditeurs doutent de leur véracité, après tout Cendrars,Zola,Hemingway (entre nombreux autres hommes de grandes qualités)mentaient et finissaient par croire leurs mensonges.Soyons clairs,le fond est vrai, la forme... arrondie.Et ainsi que je l'écrivais il y a deux ou trois jours (auriez-vous déjà oublié ?)mon rôle reste secondaire,en somme un figurant ou, qui sait, un pauvre mec qui se penche pour apparaître sur le selfy.

Cette manie de l'anecdote est une déformation professionnelle, les longs silences autour d'une table (garnie de plats savoureux par un exemple), ces trous taiseux me paniquent.Alors je remplis, et puis je mange vite donc beaucoup quand je suis invité puisque que l'hôtesse me ressert dare-dare *.Ceci dit je ne parle pas la bouche pleine.


* Cette locution reste d'étymologie aussi obscure que le mauvais côté de la farce.

Si elle semble apparaître au XVIIe siècle, peut-être issue d'une onomatopée, le DHF propose l'origine possible suivante :
Il pourrait s'agir d'un redoublement, destiné à en renforcer le sens, de 'dare' tiré du verbe "(se) darer" voulant dire "s'élancer", variante dialectale de "(se) darder" qui, au XVIe siècle, avait la même signification, et qui était issu de 'dard', ancienne arme de jet.
Or, en général, celui qui s'élance, a l'intention d'aller vite, ce qui expliquerait le sens de la locution.

Balzac l'a écrite "d'arre d'arre", sans que cela éclaire sur sa réelle étymologie, et certains évoquent aussi la déformation de "gare ! gare !" Du site: Expression.fr

...Fin janvier 1987 je débarquais à Abidjan.Mon nouveau patron,un Allemand, 25 ans d'Afrique au compteur,avait recruté à vif trois branleurs d'aéroport, les trois munis de pancartes: "M.Tobler".Ces gaillards ne font que ça: attendre sur demande (rémunérée) un passager inconnu, des fois qu'il passerait entre les gouttes et se perde, kidnappé par un taxi jurant "I know, I know,tu vas où  patron, c'est quoi ton hôtel ? Je te fais bon prix."

..Je serrai fort et poliment la main du premier pencarté qui se gondola devant tant de naïveté.

 

tertert

Deux jours plus tard mon Eberwein, c'est le nom de mon nouveau patron, m'accompagna à Yaoundé où je devais "prendre mon poste",un peu comme le fit Destouches en 1916 (lui c'était à Douala, la ville portuaire du Cameroun).De l'Afrique je n'en connaissais pas plus que ce Destouches, alias L.F.Celine.

Ou alors:

 

640_kessellion

 

1) Mes lectures de jeunesse, Fortune Carrée, Le Lion pour J.Kessel et les récits de Henry de Monfreid.

2) Ce que j'avais appris dans trois guides touristiques récemment acquis.

 

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3) De vagues souvenirs racontés par mon grand-oncle Jérémie, capucin-missionnaire aux Seychelles (durant cinquante ans!).

4) Tintin au Congo.

 

image

 

Mon Allemand, juste plus âgé que moi, quoi huit, dix ans ?,me fit la tournée des clients, tous gentiment assurés par la COFACE,une institution française chargée de couvrir les risques à l'exportation dans des pays mauvais payeurs.Mon Allemand de courte taille,presque chauve,marchait au pas de charge, pas que nous soyons pressés par le temps,non c'était sa manière de montrer qu'il travaillait dur, le sérieux de notre compagnie et de compenser son complexe de petit.Je courrais donc derrière.Il ne ralentissait qu'en fin de journée une fois de retour à l'hôtel.Là j'avais droit au récital de la philosophie de la maison mère, à ses conseils éclairés de vieux colonial, le tout bien arrosé de pastis.Tout ça avec son fume-cigarette au coin des lèvres,avec ou sans clope.

Mon Teuton considérait les Africains comme des inférieurs mais il les aimait sincèrement,les respectait et les protégeait bien mieux que ne le fit jamais Léopold II, roi des Belges, propriétaire unique du Congo qu'il avait reçu en cadeau de je ne sais qui.

Et puis Eberwein avait l'Afrique dans le sang.La condescendance des Européens, oublions les Américains et les Chinois,cette condescendance est souvent bienveillante, discrète, pudique, hypocrite et elle existe en chacun de nous bien qu'on s'en défende.Lui aimait ses collaborateurs africains.Aujourd'hui nous le traiterions de raciste,pourtant je peux témoigner du soin qu'il prenait de ses employés africains.Ils en avaient peur et le craignait ainsi qu'on craint un homme fort c'est à dire capable de vous protéger.

Hans Eberwein me montra "ma" maison, celle où s'installerait ma famille dans cinq mois, le temps que ma fille achève son année scolaire en Suisse.Le lendemain le responsable administratif me remit les clefs de la Subaru,voiture de compagnie abandonnée par mon prédécesseur *.

- Vous allez recevoir une Toyota, cette Subaru je ne veux plus la voir,me lança ce solide Suisse-Allemand,autre "vieux colonial", il avait fait "Joburg", le Mali et le Kenya.Grand buveur de "JB" et victime de cruelles hémorroïdes,j'y reviendrai dans quelques semaines.

Trois jours plus tard Eberwein retournait à Abidjan, siège régional de notre employeur,un gros de la pharmacie helvétique.

J'étais maintenant tout seul ! En attendant la vierge Toyota promise je rentrai "chez moi" au volant de cette damnée Subaru.Au passage je m'arrêtai à la boulangerie libanaise du coin pour acheter une miche de pain (que je payai en francs CFA).

 

DSC01070 

"Ma" maison de Bastos ressemblait à celle-ci

il y avait aussi une piscine hélas inutilisable.

 

Joseph se précipita pour ouvrir le portail.C'était un Kirdi des plaines du Nord-Cameroun, bien moins grand que les Ifars et les Issas de Kessel mais tout aussi maigre.Je lui donnai la miche de pain.Il déposa son arc et ses flèches et me serra fort et poliment la main, sourire éclatant.

- Merci Patron.

 

peuls_mbororos 

Peuls, Nord-Cameroun.

 

Moi je venais de prendre un excellent repas au Cintra à moins de deux cents mètres de nos bureaux de la Montée de l'Âne rouge (aujourd'hui rue 1.061).Le restaurant était tenu par un vieux "colonial" (grand buveur de Bordeaux, lui) que la France avait oublié de rapatrier à l'heure de l'indépendance * *.Il me servit le plat du jour sans rien me demander et un "Galopin", c'est à dire une modeste chope de bière (le Formidable fait 1 litre, le Sérieux... 2 litres!Je découvrirai bientôt que la seule bière qui compte au Cameroun c'est la Guinness,une légende locale raconte qu'on y ajoute du sang de buffle ce qui stimule le sexe). 

 

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  La montée de l'Âne rouge.

Le bureau était juste sur la droite.

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* Mon prédécesseur s'était laissé séduire par une finaude indigène qui avait d'abord détruit son "ménage" avant de lui piquer tous ses sous.La Direction avait brutalement renvoyé l'imprudent en sa France.J'appris plus tard et par épisodes que l'épouse de notre administrateur anti-Subaru avait eu "une affaire" avec mon prédécesseur avant que celui-ci tombe dans des mains indigènes et crochues.J'ai toujours rêvé d'une Subaru 4 x 4.

* * En théorie le pays n'était pas re-devenu une colonie en 1919 quand les Allemands abandonnèrent le Cameroun aux vainqueurs francais et britanniques.On parlait de Protectorat, comme pour l'Annam en Indochine.

 

hfgfg

Seul dans cette spacieuse villa, je fis le tour du locataire.Vaisselles et bagages arriveraient en même temps que mon épouse et ma fille. Pour le moment je campais, enfin pas vraiment il y avait un lit immense dans la chambre à coucher (l'administrateur avait insisté auprès d'Eberwein pour qu'on change immédiatement le matelas),un confortable sofa au salon, un dressoir vide, une table et six chaises.La cuisine était correctement équipée, mon prédécesseur s'était fait éjecter sans avoir le temps d'emporter vaisselles et autres quincailleries.

Que faire ?

Joseph me protégeait des voleurs et des assassins de blancs.Il dormait, dehors,sur une chaise longue près de cette salope de Subaru, les deux bien abrités (les pluies tropicales ne sont pas des légendes).Dans mon unique valise j'avais, en plus de quelques vêtements, un "Walkman" Sony et deux ou trois cassettes de "livres-lus".

J'essayais de dormir. Impossible, le moindre bruit m'inquiétait, ce n'était pas de la peur, j'avais déjà acheté  la confiance de mon gardien Joseph avec une miche de pain et les flèches de son arc étaient empoisonnées. Je coinçais un écouteur dans une oreille, l'autre... aux aguets.

 

image

Rigodon de Louis-Ferdinand Céline, lu par Georges Wilson papa de Lambert. J'aimais la voix basse de ce grand acteur.Céline ? Oui c'est un odieux personnage mais il fait partie de mes écrivains favoris en compagnie du juif Albert Cohen et de quelques autres, Semprun par exemple dont j'aurai certainement l'occasion de parler une fois, plus tard.

Soudain de mon oreille libre j'entendis un bruit étrange,on aurait dit quelqu'un qui faisait claquer sa langue sous le palais.C'était là dans la chambre.J'allumai.Dans un coin de la vaste pièce, au-dessus d'une armoire j'aperçus une espèce de lézard  transparent.Je l'observai ce qui l'énerva,ce qu'il manifesta en frappant sa queue de gauche à droite (ou inversement, je ne me souviens plus).Craignant que ce locataire indésirable ne soit muni de crocs vénéneux je me mis en chasse. Ce ne fut pas simple, d'abord je manquais d'armes "faites pour", ensuite il était haut perché.

image

Je réussis quand même à l'écrabouiller. Georges Wilson parla longtemps durant cette première nuit africaine.Ah, Rigodon et le chat Bêbert, Lucette l'épouse du fuyard,la folle traversée d'une Allemagne à l'agonie, arrosée de bombes.

Le lendemain, consciencieux je montrai mon trophée de chasse à l'expert Joseph, un homme du Nord ça doit s'y connaître.

- C'est rien qu'un gecko, éclata-t-il de rire en faisant claquer sa langue sous son palais.

Voyez-vous,je ne me suis jamais pardonné ce "crime de l'ignorance".Vous souriez, un crime ! Non pas un simple crime, un crime de l'ignorance.Il faudra que j'en parle à Justine.

- Dadounet, Dadounet, on a réussi à donner une douche à Dinkounet,i voulait pas, heureusement Elton-Phant était là, on l'a poussé, enfin lui, nous on regardait. J'ai fait attention aux oreilles à cause des fourmis qui squattent,elles aiment pas l'eau et p'is ça pourrait mouiller leurs chaussettes.

Ah, faudra aussi que j'en parle à Justine.

celine-with-parrot 

Un extrait de "Rigodon" de L.F.Celine.

Juste au moment, les chandelles, les vertes !... de partout, de tous les nuages... vous connaissez... les « avertisseuses »... ensuite la routine, les « blanches » ... et puis les bombes... vous avez eu bien de la veine si ça ne vous est pas arrivé... nous, je ne sais plus combien de fois... drame comique à récapituler... Montmartre... Sartrouville... Saint-Jean-d'Angély... Francfort... etc... Berlin... que même ici Meudon vingt-cinq ans plus tard j'ai un trou de cratère, un effondrement très traître juste devant porte du jardin, que tous les voisins disent que c'est moi, que c'est temps qu'on me chasse, qu'ils pétitionnent que la Préfecture fasse quelque chose !... oh je me moque pas, je me rends compte qu'Attila était que petite bière lui et son herbe qui poussait plus... moi c'est des cratères, où je me trouve !... partout je m'amène tout tourne pourri, sol et végétaux et bétail... les êtres humains rien qu'à me voir perdent envie de tout, bibine et manger et sommeil... voilà où c'en est !... quand je pense que cet effondrement très traître juste à la porte de mon jardin provient, je sais qu'on me croira pas, du bombardement de Renault... je l'ai vu, je sais, nous étions là-haut à Montmartre, exactement rue Girardon, au coin vous savez, pas au diable !... n'empêche que dans mille ans encore tous les blancs, tous, devenus jaunes, « superbrasilias », n'importe quel effondrement en Mars, la Lune, ou la petite Ourse, ça sera encore tout de ma faute !... je suis prêt !...

ff

rtter 

L.T.

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