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Au gré de la plume
30 janvier 2019

Pluie /15.02.2013

FSCN2491  Pour cet énième dîner nous ne nous sommes retrouvés qu'une poignée d'estomacs.(6). Les (4) autres ont déclaré forfait (probablement encore ivres du repas de midi) . Et finalement c'était "presque mieux", nous pouvions échanger quelques propos sans interrompre sans cesse un ou une voisine.

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Le 14 février c'est aussi l'anniversaire de la mort du papa de Dulcinée;

(La nouvelle "Une balle dans le cul" parle de cette fin). 

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En attendant ces derniers braves, jeudi fin de journée.

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      Et Dulcinée avait préparé un menu moins lourd que d'habitude. Un artiste peintre et son épouse, amie d'enfance, Soeur Mai et sa fille Chi, Dulcinée.

Petite anecdote: tout soudain voilà un rat qui se pointe, panique de Dulcinée qui bondit sur une chaise, les autres ne bougent pas, Juju se met en piste et je l'accompagne avec un balai. Finalement nous chassons l'intrus qui s'enfuit par où il est entré (comme toujours). 

Ah ! Encore. Avant de partir je fais un sacrifice en offrant à ce peintre un livre reçu il y a quelques années. Cela se fait-il de donner un cadeau qu'on vous a fait ? Un livre doit vivre. J'en ai bien "profité" mais là il dormait. Il m'a paru soudain bon qu'un artiste vietnamien puisse découvrir ce que fut la "rencontre" des peintres flamands avec ceux d'"Italie" à la fin du Moyen-age. Bien sûr j'ai clairement informé l'heureux récipiendaire de ce que le livre n'était pas neuf (mais bien propre) tout en lui recommandant de le transmettre à quelqu'un d'autre quand il en aurait fait le tour.

Ce livre (essentiellement illustré de reproductions picturales de ce temps-là) me manquera. On y trouve tant d'oeuvres que j'avais découvertes en préparant mon "Momoh van Brugge".

La peinture flamande et l'Italie

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Ma sortie ce vendredi matin 15 février.

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Le goulet.

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La Grande pagode est fermée mais cette vieille dame veut y venir.

Il faut dire que l'endroit fait encore "office" de mémorial aux soldats

morts à toutes les guerres. 

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chobuoi4 Buoi il y a 100 ans.!

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Le carrefour en me retournant.

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Le long du marché couvert.

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Le long de la "montée" de Buoi coté descente.

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Le sommet de la "montée" de Buoi.

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Au début de la rue des plantes, timide retour à la "normale".

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Rue des plantes.

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Mon petit café est ouvert... rien que pour la famille ce matin.

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La boutique qui vend de gros desous pour plantes vertes est ouverte.

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Un autre raccourci mais le même bon Ruisseau To Lich.

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Au coin de l'entrée de notre ruelle 530. 

L.T.

P.S.1: Si des fois, en l'honneur du papa de Dulcinée je remets cette nouvelle. Version "brute", non corrigée !

                  Une Balle dans le cul

                                              (extrait du journal de Louis Gros)

                                            Cahier VIII

                      Nouvelle

  

25 Janvier 2…, Samedi

A une semaine du Têt, ce n’est plus de la fièvre-chèvre, pas encore l’hystérie de J – 1, mais quelque chose qui me fait penser aux machines à Tinguely….enfin: la ville – Ha Noï - . Ha Noï la prude, la provinciale, la capitale, la victorieuse. Seuls les environs du Mausolée et de l’ancien quartier français paraissent à l’abri…. quand même, on vient de terminer la nouvelle enceinte du jardin botanique (derrière le Palais Présidentiel). Partout on rafraîchit un immeuble, on se presse de poser une vitrine plus moderne, des banderoles rouges à lettres d’or :” Chuc Mung Nam Moi”…avec les accents bien sûr: tchouc mou(n)k nam moille. Sociétés ou particuliers, chacun  marque le coup, doit prouver qu’il est en forme, qu’il progresse. Prospérité! Youps la boum. Je me souviens du Boulevard Nguyen Hué à Sai Gon, transformé en foire aux plantes. Ici y’a bien quelques rues “spécifiques” mais le reste, le joyeux bordel c’est partout. Un immense désordre, voir les autres acheter-acheter, tout fait partie du Têt, enfin…en villes.

Aujourd’hui … les poissons, trois, sont arrivés ce matin du marché. Tran est partie tôt avec son vélo, plus facile de se faufiler entre les étals des bonnes femmes qui envahissent la chaussée. Je les ai mis dans le gros saladier en verre. Elle a poussé la table ronde sous le coin à Bouddha. C’est là leur place. Ils attendent? Oui et non, chargés, en principe, d’inspecter la maison, sa propreté…heu…, ce soir on les ramène au lac. Je dis “ramène” mais j’ignore d’où ils sortent, ce soir ils trouveront une liberté nouvelle….inconnue (à mon avis ils sont d’élevage). Sauront-ils survivre, au moins quelques semaines dans le Grand Lac de l’Ouest ?

Pas de  “crise” de ménage cette année, rien que la “poutz” routinière, le rapport sera sévère. Aussi me fais-je un devoir de changer leur eau de temps à autre pour tenter de les amadouer. Ils me répondent :” Bouep! Bouep! Bouep”. Un bouep chacun.

Vers neuf heures nous partons pour le cimetière (sans les poissons!). La voiture de location nous attend avec son chauffeur. “Jam” au siphon du temple, à cent mètres le carrefour s’engorge. Quatre agents s’énervent, vingt minutes. On risque un demi-tour sur route….puis un autre…pour se retrouver au même point: celui de départ.

Qui a versé le produit miracle, glou-glou, la constipation se transforme soudain en diarrhée, beuv-lourffff…le bouchon éclate, on se dilue, on s’échappe. Une demi-heure plus tard nous embarquons la soeur M… et son mari, devant leur boutique de meubles, rue Lang Ha, pas loin de l’Ambassade américaine. On s’amuse au passage en découvrant trois gros camions bourrés de sable, immobilisés devant le bunker US. La muraille Bush! Craindrait-on une attaque de kamikazes? Au Vietnam ? S’y risqueraient-“ils” ces enturbannés ?

Mais enfin …rigolo cette ambassade protégée par trois huge trucks abandonnés y’a juste trente ans par l’armée gringolitos en déroute! Notre chauffeur prétend qu’on les aurait fait monter de Sai Gon! 1400 kilomètres! Côté “viet”, pas de doute….impossible de récupérer de vieux camions soviétiques, chinois ou coréens…ça ne pouvait être que du matériel US. Le symbolisme est un art kinh.

 

Mes dorsales m’accordent un répit, je suis assis à l’avant de la Toyota. Sur la banquette arrière on cause et on plaisante gentiment. J’ai donc tout mon temps pour observer les échoppes, les motos qui ziguent de partout, souvent à contre-sens, les cuisses d’une amazone. On se lance dans une large avenue fraîchement tranchée à vif dans la carne du merdier hanoïen.

 

Il y a huit ou neuf ans des experts étrangers sont venus bravement conseiller les autorités municipales: c’est maintenant ou jamais, ont-ils conclu.

Au Cameroun la populace des bas-fonds Nylon (Douala) avaient rendu transitif le verbe “déguerpir” qui prenait alors ironiquement le sens d’exproprier…, comprendre: de force et sans trainer…foutez le camp, les bulls ronronnent déjà!

Les vietnamiens ont écoutés ces Lumières des Mégapoles et puis ils en ont fait a leurs têtes après quatorze meeting et huit cents téléphones à plus haut que soi, comme toujours, s’inspirant du know-how western et d’un zest de bricolage oncl’Hosien. Alors on fonce dans des axes démesurés à la “Kim Il Sung” et puis au bout…plus rien, on retombe sur une méchante cohue, pour s’égosiller dans la prochaine ruelle étriquée….le boulevard aurait-il rétréci au lavage? On s’en sort ou quoi?

Mais je m’en fiche, je ne suis pas pressé.

On longe la voie de chemin de fer, qui elle, de son autre côté, voisine des centaines de maisons-ateliers-commerces, c’est le quartier du mobilier à la chinoise. Les boutiques donnent sur la voie où les artisans installent de lourds dressoirs (la hausse des rails est pratique). De massives armoires joliment travaillées que les familles placent chez elles en guise d’autels des ancêtres, souvent dans une pièce tout au sommet de l’habitation. Mon Dieu, qui les transporte là-haut? On patine, on laque, on peint, on englue, on astique et si c’est l’heure….la locomotive diesel avertira tout le monde gentiment, broubroubrouhouhou! Garez-vous…brouhouhou….ça passe ou ça trépasse … brouhouhou! A tout casser l’express Sai Gon - Ha Noï  franchit rarement les 40km/h! Alors ? La grand’mère peut planquer son mioche, les chiens aboyent….

Bach Mai, l’hôpital principal et la clinique française. Un moment, j’y repense à ces salopards de voleurs, incapables, prétentieux. Un noyau de toubibs aventuriers a repris cet établissement privé. C’est la capitale, il en faut un pour soigner …correctement …les estrangers, tourista ou résidents. Les premiers investisseurs, des chinois d’Australie, sûrement une feinte pour recycler de l’argent sale, …avaient cru faire fortune. Ils se sont heurtés à une administration pointilleuse et ricanante, pas pressée, et puis la jalousie des médecins locaux aura fait le reste. Australasia ejecta est. Bien fait.

Plus malins les français…? Dans un premier temps, je répondrais oui (mais bien sûr personne ne me pose la question). Ils ont monté un système de rotation, par deux semaines, des spécialistes débarquent de Métropole et rentrent chez eux quinze jours plus tard. On leur laisse la possibilité de devenir actionnaires. L’idée n’est pas mauvaise….sauf que c’est une médecine à l’éthique légère. Une seule priorité : soutirer un maximum de fric sans prendre de risques insolvables. On n’aime pas les cancéreux, pas les chroniques…Accouchements, fractures, petits bobos, check up…du bon pain, le pire on l‘évacue en se lavant les mains à la pierre ponce (ou au savon de Marseille).

Ces salopards se sont associés à quelques pointures locales : deux catégories, la première: de jeunes nationaux, doués et impatients de s’enrichir, la deuxième, la deuxième?…: des mandarins locaux…pour arrondir les angles avec les autorités et attirer quelques clients de la Nomenklatura ou d’autres arrivistes.

 

Ca y est c’est le moment de tourner. Zut brouhouhou……justement le train, barrières. Pourtant jusqu’à la dernière….minute (?)… les motos vont se glisser dans une brêche mais c’est ainsi, prévu pour. Trahit sua quemque voluptas.

Quatre gardes-barrières!….donc au moins huit si l’on tient compte des congés, des vacances, des fins de semaine, des grossesses, des absences pour force majeur, mariage d’un collègue, des funérailles …. un simple passage .

Nous y voilà. Mon jeu favori, je calcule les salaires….ouaip…faudrait dix ans pour couvrir les frais d’un pont ou d’un tunnel. Mais bien sûr, quel avantage pour le trafic. Huit chômeurs de plus….ouaip… versus un job pour vingt ouvriers en génie civil….vingt ouvriers à  x  par mois fois durant trois mois…minimum.     

Si l’on tient compte des trente camions z’et voitures qui s’impatientent  de chaque côté du passage, la prise en compte du coût en temps perdu, …passons…, trente camions fois quinze minutes, au moins trois types par véhicules, qui se font en moyenne cinq à six cent mille par mois,….six, huit trains par jour… fois deux,…Ha Noï – Sai Gon, Sai Gon-Han Noï..

Sans oublier les gaz des pots!

Le cimetière à l’horizon. Là aussi ça fume!

Rien de bien compliqué. Bon…Ha Noï, plus de deux millions d’habitants… accidents, maladies, vieillesses, dans les 2 à 3 % de mortalité, donc combien? Vingt, trente mille macchabés par an? Nombre de crémations quotidiennes? Les vrais hanoïens s’enterrent, les autres sont brûlés et stockés en attendant un hypothétique retour au sources provinciales.

 

Cependant l’endroit respire(?) le calme et la sérénité….parfois lors d’une cérémonie, au moment où la crémaillère entraine le cercueil dans la fournaise, des cris. Un écran nous montre les flammes enrobant votre mort. Eh! On vit au pays de la méfiance, des fois qu’ils recycleraient le cadavre, c’est ce qu’on m’a répondu lorsque je demandais la raison de cette caméra indiscrète: être certain, aussi, qu’on vous “restitue” les bonnes cendres….au bout de la chaîne! 

 

Mais aujourd’hui, soleil de printemps, tout est silencieux, on dirait des abeilles qui travaillent sur leur ruche. Les familles entrent et sortent, tantôt pour rincer un vase, brûler des tiges d’encens. Je fais remarquer à mon épouse que l’endroit est net et propre.

On a bien installé le repas pour la grand-mère. C’est le beau-frère qui s’en charge, avec minutie, il sait parait-il! Finalement M…, sa femme lui tend la liasse de fausses monnaies, des billets de cinquante mille dong. L’an passé elle avait choisi des dollars, le voyant (fortune’s teller) a fait remarquer que la grand-maman n’avait pas apprécié ces devises étrangères car le change est trop éloigné de chez elle!  Chacun rit mais personne ne reviendra plus avec des coupures yankees…même contrefaites! Je suspecte que la perspective d’une guerre en Irak ait aussi influencé ce rejet (très  ponctuel), pas pour des motifs politiques, mon-dieu-non, mais que tant de haines s’abattent sur cette arrogante Amérique rend l’odeur d’“In God we trust” un brin nauséeuse. Bref….garder ses distances avec ce qui se prépare de mauvais ou ce que le mauvais prépare. La proximité du Nouvel-An et le début d’un conflit pourrait constituer un malheureux présage, pour le moins une infortunée coïncidence. Est-ce que j’en rajoute?

A gauche et à droite du bâtiment principal (deux crématoires avec salles de “spectacle”) s’alignent de longues rangées de “cases” collées les unes-z’aux- z’autres. Dans chaque case….quoi? cinq cents niches? Il m’est arrivé de compter pour passer le temps, oublié. Tant pis, disons cinq cents. Oui. On donne un billet à la gardienne du coin. Cette brave femme, d’une visite l’autre, raconte sa vie. Elle s’est engagée volontaire, comme supplétive de l’armée, chargée de l’intendance. La guerre, les guerres ont passé et sa jeunesse aussi, laissée pour compte. Sustine et abstine! Sa soeur travaille à la Banque Populaire Internationale.

Un homme sort du bloc central, une urne entre ses mains, et file vers la case attribuée, cherchant le numéro de “sa” niche. Je m’étonne qu’il le fasse en tirant sur son mégot. Une jeune fille le suit avec une caméra-video digitalisée.

Mon beau-frère s’est mis à brûler la fausse monnaie dans un foyer réservé à cet usage unique. Terminé, on rentre. En chemin les deux soeurs et le beauf re-papotent, toujours à l’arrière de la voiture, moi je me re-mets à épier furtivement la vie de la rue et quelques nymphettes sur leur monture impatiente. Des Honda, pas des Harley.

De retour à la maison, Tran me raconte que le mari de M… a des soucis. Petit commerçant, il s’était plus ou moins associé à une puissante femme d’affaire. Apres un long procès, des recours désespérés et des appels à la clémence présidentielle, l’ambitieuse patronne vient d’être exécutée (peloton, 12 x pan), juste la quarantaine. Une histoire de fausses (encore?) factures, rien d’exceptionnel mais au-delà d’un certain  montant…pan…Autrefois détourner 36000 dollars suffisait, maintenant avec les beaux jours on voit plus large…faut passer les cent mille. Tran ajoute encore que la fille de cette condamnée étudie dans la même classe que le neveu T….., le futur gangster, mon préféré, c’lui qui piqué un ménate on ne sait pas où.  Quelqu’un a écrit un livre sur l’angoisse des pelotons d’exécution. Mon dos m’accorde encore un autre répit. Est-ce le temps…moins frais, plus sec? Il paraît que cette femme venait de la campagne et qu’autrefois elle vendait  du pain avec son vélo.

 

26 Janvier 2…, Dimanche

On s’est relevé tôt, hier c’était pour l’excursion annuelle au cimetière, aujourd’hui….un docteur vient à la maison. Ouaie, une autre histoire!

Lundi en huit, après une longue semaine de mal aux reins et un week-end de diète totale (pour éliminer de mon corps le trop plein médicamenteux), je m’étais décidé, j’allais enfin consulter les French doctors. Un orthopédiste de Lyon, à l’aurée de sa deuxième semaine tonkinoise, fit un diagnostic rapide, déclara inutile toute cure avant paralysie des membres inférieures:

-          Mais vous pouvez faire de l’équitation. Quand vous ne pourrez plus marcher il faudra envisager une opération….ailleurs. (sic)

Il ne prescrivit rien du tout …si une ceinture élastique. Un professeur vietnamien l’assistait. Celui-ci ne manifesta qu’un seul intérêt: le code de facturation de la-dite ceinture. L’escroc français (je ne pense pas qu’il soit vraiment orthopédiste, probablement un chirurgien de l’os) tenta de me convaincre que je souffrais des  tunnels carpiens, une diversion.  Pour me faire plaisir, ce dilettante proposa quelques séances de massage.

-          Et puis le kyné vous expliquera des exercices à faire chez vous. Voulez-vous que je vous “donne” du Voltarène? (je venais de lui dire qu’une semaine de diclofenac à 150 mg/ jour était restée sans effet).

J’ai poliment serré la main du professeur vietnamien qui regardait ailleurs. Au revoir-connard!

Ma femme piqua une crise lorsque je lui rapportais tout ca.

-          Et combien t’as payé?

Elle refusa que je me fasse masser le dos….surtout à un prix de voleurs.

J’ai annulé sans regret le rendez-vous chez le kyné…un mec! Se faire masser par un homme…en Asie!

-          Je trouverai un docteur vietnamien, il viendra à la maison.

La semaine s’est écoulée péniblement, sans amélioration. Le soir elle me fait des compresses avec du gros sel bouillant et des herbes secrètes suivant ainsi les recommandations de son vieux père et d’une autre de ses soeurs. J’en ai la peau toute brûlée.

Tran m’avait annoncé un vieux toubib, un retraité. L’homme a quarante et quelques années. Elle fait l’interprète. Deux heures d’examen, même les viscères. C’est un neurologue. Il dessine sur une feuille de papier en expliquant les probabilités. “Les petits Chiens” (dans la vitrine….neu)…là où ça coince!

Il envoie mon épouse à la pharmacie. Elle en revient avec quatre médicaments différents, une seringue, de l’alcool, du coton et une aiguille. Trois cent mille dongs…28 Sfrs.

Youps! Le médecin se lave les mains, je me re-déshabille et m’allonge à plat- ventre sur le lit de la chambre-de-derrière-au-premier. 

 

Quatre infiltrations “para-vertébrales”. Confiance le bonhomme? Ou con ? Les deux?

Rien de douloureux. Juste un sursaut. Quatre sursauts!

 

-          Dans un second temps je suggère des radios de la colonne, de haut en bas, suivez strictement mon traitement. On verra ensuite, peut-être une IMR, le seul moyen de voir les disques. On vérifiera aussi le foie. Evitez les coups de froid.

Tran m’assure que le médecin a été très impressionné par la silhouette de mon pauvre dos et par ma gibosité. Il ne croit pas que je puisse récupérer mais il espère maîtriser les douleurs. Quant à ces fourmis et ces lancées dans les mains…selon lui….les cervicales. Il m’écoute et questionne. Quand je tourne la tête à gauche ou à droite on dirait des grains de sables qu’on frottent sur un caillou.

-          Entendez-vous bien?

Je réponds : “ oui, oui-oui”.

Tran rectifie : “ Tereteuteu!”

Je sais qu’elle a raison, j’entends moins bien. Ca ne me dérange pas de devenir sourd, doucement je prends l’habitude d’écouter “La Flute“ , en solitaire,  posant la main sur un haut-parleur pour en saisir les vibrations. Quatre ou cinq disques suffiront….la mémoire fera le reste. L’autre jour j’ai délogé un puant bouchon de cire et il m’est venu l’espoir naïf que tout le problème venait de ! Et puis le pétard du Têt 94 n’a pas dû arranger les choses.

 

-          Avez-vous des vertiges?

-          Heu….non…enfin lorsque je me redresse brusquement. Hypotension orthostatique?

Là, je mens, il m’arrive de tituber, soudain, quelques secondes.

-          Avez-vous contrôlé votre coeur?

-          Jamais.

-          Pas de difficultés pour pisser?

-          Non, un bon jet, au moins dix fois par jour mais c’est vrai, depuis une semaine….en deux salves….franches.

 

En tout …plus de trois heures, il aura fumé trois cigarettes. Pendant que mon épouse filait à la pharmacie il me raconta son divorce et son re-mariage.

 

Merci beaucoup!

Il refuse d’être payé “parce que c’est un ami qui m’a demandé de venir vous voir”. L’enfoiré lyonnais m’avait piqué 55 dollars pour vingt minutes…sans oublier le prix surfait de la ceintre de maintien. Sans m’aider, sans essayer de soulager ma peine. S’acharnant sur mes tunnels carpiens alors que je lui montrais mon derrière! Au bout…quel bout, c’lui-ci ne sera peut-être pas plus efficace mais au moins il aura tenté d’atténuer ces vilaines douleurs sur le côté gauche, sous l’omoplate, et cette pince à hauteur de mon iliaque droite. Admettons-le quand même, la ceinture me soulage.

Zut. Maalouf a sauvagement griffé le toubib! Pensait-il me défendre? Non….je rêve!

Entre temps, occasion exceptionnelle, faut bien penser à une alternative si je dois renoncer à tout effort (comprendre : faire le ménage)….la bonne de mon beau-père a débarqué en compagnie de notre petite nièce C.. .

 

Salomé n’arrête pas de gueuler, elle déteste les inconnus.

Cette dame vient de la campagne, son mari est un fainéant ….en chômage permanent. Elle lui a donc abandonné les enfants pour trouver un modeste travail en ville et elle ne rentre au bled qu’une fois par mois pour ramener son salaire et remettre un peu d’ordre dans sa case avant de se faire monter par son lézard.

Mon beau-père vieillissant, ses filles décidèrent qu’il serait bon que quelqu’un soit présent à la maison…vingt quatre heures sur vingt quatre. Bon la maison: ce bout de baraque, en plein milieu des “Trente Six Rues”. Lui tenir compagnie, sonner l’alarme en cas grave, préparer ses repas. Donner un coup de main à la boutique (louée sur le devant).

Pas facile de trouver quelqu’un qui accepte de partager…..sa chambre, elle dort sur un lit de camp, paraît-il.

En raison de sa bravoure durant la guerre d’indépendence (une balle francaise dans le corps?), des services rendus à la patrie en qualité de chef de délégations commerciales en Europe de l’Est (ce qui par ailleurs lui permet de bénéficier d’une retraite de “vice-ministre” : Sfrs 70/mois), mon beau-père a reçu un morceau fragmenté de cette antique bâtisse du centre ville. Les “ Trente Six Rues” étaient autrefois en mains chinoises. Souvent des catholiques qui s’enfuirent au Sud en 54, les derniers…à l’étranger en 1979 après la guerre cino-vietnamienne.

On a toujours un certain plaisir à donner ce qui ne vous appartient pas! Je m’en suis rendu compte autrefois lorsque je “sponsorisais” un symposium ou un billet d’avion pour quelques clients. Dans le cas particulier de ces chinois, admettons que les absents ont tort. Etrange, cette famille  ”déguerpie” (volontairement mais sans compensation) revient tous les quatre ou cinq ans des Etats Unis et entretient d’excellentes relations avec ma parentée! Ils ont aimé nos rénovations, la devanture à l’ancienne, le succès de notre modeste et artistique business (la prochaine fois il faudra que je leur propose de nous servir d’agent aux Amériques, ah! Si la diaspora chintok…je roulerais vite fait en Chevy).

 

Mon beau-père n’occupe donc qu’une partie de la maison, le reste appartient à d’autres familles patriotes, sauf les toilettes communes…jusqu’à ce que nous les remettions à neuf et les séparions en deux. Pour accéder à l’arrière du bâtiment, on se faufile dans un sombre et étroit corridor. Personne (de dehors) ne peut imaginer que ces constructions de trois mètres de large puissent en avoir quarante de profondeur. La grande pièce (jouxtant la boutique) sert de salon et de salle à manger, une mezzanine au dessus… de chambre à coucher pour M.., son mari et leurs enfants…quand ils restent là pour la nuit (ils dorment souvent dans un réduit en-dessus de leur magasin de Lang Ha). Une minuscule cour intérieur, c’est la cuisine, le parking (vélos et motos)...plus au fond, tout au bout, un escalier mène à l’ultime chambre, separée du “reste”, un satellite, celle où résident le grand-père et sa bonne! A gauche de leur porte d’entrée : la cage du ménate, le compagnon de T…., le neveu apprenti-gangster, mon favori. Personne ne sait d’où sort cet oiseau, lui affirme l’avoir acheté mais qui le croit! Qui le croit? Qui le croit?

On (le vieux s’en est chargé) a durement négocié avec un des co-propriétaires afin de louer le devant, donnant sur la Rue aux Poissons. Cet espace nous sert maintenant de boutique-atelier. Les voisins paraissent heureux de voir les touristes s’attarder et trainer devant la vitrine observant et photographiant nos “étudiants-artisans” à l’ouvrage.

Le grand’père s’est attaché à cette campagnarde, compatissant à sa misérable condition (séparée de ses enfants), ils font leur possible pour améliorer le sort: lui vieux veuf , elle privée de ses mômes.

M.., la soeur de Tran, veille quand même aux grains. Il existe de nombreux exemples où des bonnes ont abusé de la naïveté d’un vieillard en le dépossédant graduellement de son bien (?). Aussi ne manque-t-on pas une occasion de la “remettre à sa place”. Même la petite C.. s’en mêle parfois, odieusement.

Mais l’intimité de ce couple artificiel, grand-père et servante, permet de multiples et lubriques hypothèses. Dieu soit loué, le merle des Indes reste le seul témoin….quoique …T….-le gangster sous-entend…enfin il aurait surpris des choses. Qui le croit? Qui le croit?

Mon épouse et sa soeur se chargent du salaire de cette dame. Vae soli!

 

Voilà, quelle longue dérive, voilà pourquoi ce dernier Dimanche avant le Nouvel An, une femme de ménage (j’ignore son nom) vient astiquer notre maison de banlieue. Certes les poissons sont retournés au lac….rapport aux lèvres, mais ce “plus” tardif ne fera pas de mal. Bouep, bouep, bouep!

Nous pourrions engager une servante à demeure, à mi-temps, à plein temps, le coût reste modeste, mon épouse craint qu’on nous vole, qu’elle me suce la queue en son absence. Enfin et surtout, un témoin étranger la gène, ce sentiment d’être épié par une prolétarienne, forcément jalouse.

Cette fois, c’est exceptionnel, enfin? je me demande si ce n’est pas le grand-père qui a suggéré qu’on l’emploie occasionnellement. Il a envie qu’elle se fasse quelques extras…déjà je lui glisse discrètement un billet, de temps à autre, pour sa contribution au nettoyage de la boutique. Je le soupçonne, lui, de préparer son “après”….en somme s’assurer, mort venue, que cette pauvresse ne devienne pas inutile, qu’on ne la renvoie pas crevoter dans son village. 

 

J’ai sournoisement encouragé cette initiative, mon dos a fait le reste, ne suis-je pas devenu incapable d’entretenir proprement cette maison? Et puis ne dois-je pas me concentrer sur de futures créations, là je travaille un moulage de bougie. Des motifs campagnards.

Le pas est fait, elle reviendra. Nihil obstat.

A midi ma femme lui monte un repas, elle mangera “in situ”, là où elle frotte présentement les boiseries d’un couple de fenêtres particulièrement crasseuses.

 

Ne suis-je pas chez moi? Ne suis-je pas le “maître des lieux”? Pourtant je ne pipe mot mais je reste vaguement choqué: pourquoi ne pas l’inviter à s’asseoir à notre table? Je sais que lorsqu’elle est seule avec son vieux, ils croquent ensemble. Quand le “reste” de la famille se réunit, elle picore derrière un paravent. Ah! une couche de socialisme et deux ou trois de confucianisme!

Quel cocktail! J’en parlerai à Hien, ce vieil ami saura..

 

27 janvier 2…, Mardi

Quatre heure trente…du matin! Un vent mauvais…toujours de Chine. Toute la nuit des bruits de partout! Excellent test de résistance pour ces récentes constructions voisines, ces toits en taule, juste vissés sur de fragiles bras de fer, ces antennes périscopiques montées sur des bambous. En en plus je ronflais!

Tran a filé dans la chambre de Yen, Salomé l’a suivie et puis elle est revenue…trop de monde là-bas-dedans, la petite nièce C.. est restée  (hier soir, la bonne s’en est retournée seule en bus, je lui ai donné deux mille cinq cent dongs pour le trajet). Le chat Maalouf est amoureux et pisse partout, c’est dégueulasse. Mais voilà Tran  est devenue folle de ses bêtes avec le temps et on se fait bouffer, ils nous imposent leurs lois!

Au fond je m’en fiche mais hygiéniquement je trouve ces habitudes malsaines, encore c’est l’hiver finissant mais avec le retour des beaux jours…l’odeur!

Salomé garde sa dignité bien qu’elle jette de sévères regards sur cet arrogant pissoteur de matou en chaleur.

Avec Nana (la chatte du peintre Hien), c’est différent, ces dames sympathisent et en posent de belles, clignant des yeux, les pattes repliées en signe de paix.         

Maalouf n’arrive pas à oublier son rôle de macho officiel, il lui prend parfois l’idée d’affronter le coq Monsieur de Poméranie, ainsi baptisé à cause de son de son prédécesseur qui lui s’appelait Loulou. Personne n’a jamais su comment il avait pu disparaître, celui-là.

Bref, j’étais peinard dans mon lit, souriant au plafond en imaginant l’ ”amas humain” dans la chambre d’à côté! Dehors y’avait un bruit que je n’arrivais pas à identifier, énervant.

Mon dos me fait moins mal ce matin, le temps est sec avec ce vent cino-méchant.

Je mets en route la maisonnée et je m’installe sur les marches du perron, devant la porte d’entrée. Un moment privilégié, là en quelques secondes, j’arrive à imaginer mes miniatures, de nouveaux sujets, un mobile facile à monter et qui se range “extra” dans une jolie boîte que les touristes n’auront aucune peine à glisser dans leurs valises au moment du retour, un truc qui séduise les japonais aussi, y’a pas que ces cons de français, faut penser large. Une grosse bougie peinte à la main, peut-être avec un relief, pas trop dur à démouler? Je crois, on verra avec nos étudiants de l’Ecole d’Art, sont débrouilles depuis que je les ai associés au chiffre d’affaire. Tran a gueulé au commencement mais la qualité a suivi, la productivité ensuite, ils travaillent dur! Pour le moment nous n’avons pas de problèmes majeurs de concurrence. Mon idée du certificat d’authenticité avec photo de l’”artiste”, l’atelier-magasin, numéroter les exemplaires. Et puis j’ai instauré un “quality control” , mon “Iso” à moi, sans pitié! Enfin je laisse les gars varier les couleurs, toutes les pièces ont l’air unique. Si l’un d’eux veut exposer ses oeuvres personnelles, elles sont les bienvenues. Y’a aussi le coin pour le thé, on ne force jamais la vente. Et surtout Tran a mis en branle son network personnel. Moi j’ai visité les “Tour operators” et les hôtels.

C’est pas la fortune mais le business tient la route.

 

Tous les français ne sont heureusement pas “cons” mais beaucoup ressemblent trop à cette ridicule caricature de touriste: plus de la cinquantaine, nippes à chier, gras, s’extasiant devant la misère des rues, bruillants, râleurs, recomptant leurs sous en faisant chaque fois le calcul en FF, critiquant leur hôtel (souvent a juste raison) , Couperose….

 

Yen descend….enfin….encore endormie.

-          T’as tes clefs, ton argent, la carte du bus, ta lampe de poche?

Elle avale son chocolat et file sur le chemin qui mène à l’arrêt du bus.

Je reste un moment à fumer, toujours assis sur les  marches, un coussin sous le cul (pour éviter que le froid me monte dans les reins), le dos contre la grosse moitié de porte, je fume.

J’attends toujours dix minutes, le temps que Yen arrive à la station du bus. Elle garde en main sa lampe de poche (mon cadeau d’anniversaire!) car c’est encore la nuit. Dans sa veste je sais qu’elle cache la petite alarme (à pile,12V) que j’avais acheté à Singapour. On ne sait jamais.

“En principe”, les malfrats et les vilains sévissent la nuit entre minuit et quatre heures, pas le matin, bien qu’il fasse encore sombre. Déjà trop de “fourmis” sur les chemins.

Mais je reste malgré tout en tendant ce qu’il me reste d’oreilles.

Salomé vient vider sa vessie dans le jardin. Pas fou, le chat Maalouf dort au chaud sous la couverture de sa “maîtresse”. Je pisse où et quand je veux…moi, Monsieur! Quia nominor leo!  Mon café. Le meilleur moment du jour.

Deux rats courent sur le cable électrique, leur équilibre m’épate. Des artistes!

La chienne me fait signe, elle veut s’installer sur mes genoux. Viens Pitchoune!

Tran a décidé que nous devrions visiter le docteur pour le Têt et lui faire un joli cadeau puisqu’il a refusé de se faire payer. Malin ce toubib, il a pris soin de l’envoyer acheter les médicaments, pas question de se faire accuser de commerce illicite! Et en cas de pépins personne ne saurait lui reprocher d’avoir sorti des produits périmés de son sac!

Je repense à ses dessins. Les racines nerveuses. La manière d’établir le diagnostic et de définir la gravité du cas…traitement palliatif ou chirurgie, voilà…

On verra. Ma femme se sent rassurée de pouvoir lui demander de l’aide en cas d’urgence.

28 Janvier 2…

Fin de matinée. Mon ami Hien est arrivé, just’après le départ de Tran. J’ai fait du feu dans la cheminée (de Melville) , il aime regarder les flammes, même en été! On ne parle pas beaucoup. Je lui raconte le dernier bouquin que j’ai lu : “A livre Ouvert” de William Boyd, un ami de collège me l’a envoyé d’Europe. Je lui expliqué que ça m’énerve de découvrir soudain un si bon auteur (bien traduit par Christiane Besse). Combien d’autres me passeront à côté?  Monologue sur la complexité des traductions. Hien finit par donner son avis.

Il travaille sur une miniature compliquée, pleine de personnages, qu’il doit  terminer pour le Têt, une commande d’un VIP! Vingt quatre sur trente centimètres, douze gaillards et cinq femmes en Ao Dai….et comme toujours, dans un coin il glissera le cochon Xe Dan. Il peint à la loupe! Du tout fin!

J’ai refait du café, plus tard il préparera le thé-comm’i’faut! Mais aussi étrange que cela puisse paraître il a pris goût à mon “Earl Grey”. Sa chatte Nana fait le tour du jardin, Maalouf la guette, l’oeil lubrique, la queue polissonne.

Je parle tout seul, de Philippe qui est mort à Sai Gon, du téléphone de sa femme, du petit garçon qui reste.

-          Vont-ils quitter le Vietnam?

Je ne réponds pas car je n’en sais rien. Philippe est né en Indochine, il a fait son collège à “Marie Curie”, je ne sais pas grand’chose de lui mais je l’aimais bien. Juste la quarantaine! Merde! Dejà Jan et Wil l’an passé.

Le téléphone sonne, j’ignore, ce doit être ce connard qui est de passage à Ha Noï et comme il s’emmerde il voudrait m’inviter au restaurant!

De Boyd à Kundera. J’avais acheté, à la FNAC, lors d’un voyage à Paris, “L’Immortalité”, en cassette audio, j’adore écouter les romans lus. Excellent souvenir du “Rigodon” de Céline (lecture de G.Wilson).

Par hasard je viens de voir le film en VCD : L’Insoutenable légèreté de l’être, avec J.Binoche….Prague, 1968….et on y retouve un cochon digne de Xe Dan!

Hien veut en savoir plus, pour en parler au “patron” de…l’unique Xe Dan (le “X” se prononce comme un “S” et le “D” comme un “Z”).

Après le thé on saute sur le tennis (Star Pport), le cul des soeurs Williams, en peignant, je préfère la petite belge. J’ai sorti ma bouteille de pastis.

 

A midi je bricole un repas: des roesti, du lard et des oeufs. Hien s’y est fait. Il aime mieux mes roesti que mes pommes en carrées, trop sèches à son goût. Petite sieste, toujours au salon devant le feu. Normalement nous travaillons au-dessus, à l’atelier. Ecroulés dans nos “rotins”.  

 

Est-ce tout là mon “projet” de vie : ces objets pour touristes, ces petites maisons en plâtre peint, ces (faux) livres  taillés dans des essences de bois variées, ces mobiles vite montés une fois de retour en métropole, mon fameux “coucou-pagoda”…enfin...mon…Loucas...mélange hétéro d’une horloge made in China, d’une pagode ou un moinillon apparaît à chaque heure pour frapper un gong…, kitch et kit, l’ensemble se transporte dans une boîte à chaussure joliment décorée, se construit en deux minutes et ne mange qu’une pile AA tous les six mois. On cherche encore sur ces bougies…moulées ou décorées à la main? 

 

Les cartes postales (photos)….celles qui nous servent de modèles pour les mini-maisons de plâtre et puis un projet de “santons vietnamiens”, cinquante figurines, le quotidien de la campagne, du marché, peut-être aussi quelques personnages de la guerre d’indépendence,…Giap?… on verra! Les ethnies. Et les buffles!

Hien me masse mon épaule gauche. Etrange. Il me revient en mémoire tous ces matins du monde où elle a eu froid, mauvaise habitude de la garder hors des couvertures.

Pendant ce temps j’ai passé à un autre sujet : Srébrénica et l’impossible retour des musulmans, leurs maisons occupées par des serbes menaçants et vindicatifs.

On fixe deux jolis lampadaires de chaque côté de l’entrée. Tran les a ramenés pour le Têt, toujours pour marque le coup.

-          Et chez vous , Hien?

-          On va acheter un DVD, Hoa veut aussi changer les fauteuils du salon, j’espère qu’on pourra les monter à l’étage, je lui ai conseillé de choisir des pas trop gros mais elle n’aime pas ce qui est petit! J’ai repeint le portail. Ca suffira! Y’a déjà eu tous ces travaux au printemps pour les fenêtres de la maison et mon atelier-clocher sur la terrasse… et la mezzanine de An…j’oubliais!.   

-          Ca va en classe?

Il ignore la question et me parle de son horoscope pour l’année de la Chèvre. Je vais me couper les cheveux, c’est écrit…cheveux courts! Et pas trop d’alcool!

En fixant le deuxième lampadaire je me suis donné un vilain coup de marteau sur le pouce. Hien a sorti le couteau suisse que je lui avais offert, il a percé l’ongle, un peu de sang est sorti, décomprimant l’hématome.

Il revient ensuite sur un de ses sujets favoris : la famine qui sévit entre 1975 et 1983. Deux millions de morts! Je n’arrive pas à imaginer, moi je lui raconte la soupe populaire en Suisse, à la fin des années “trente” mais il ne me croit pas.

Fin de journée….on s’envoie quelques bières avec des olives, du saucisson chinois (un brin sucré), du parmesan d’Australie en “rebibes” (copeaux).

Tran rentre, la moto chargée de provisions….toujours le Têt en perspective!

-          Chao Ong Hien, comment va Hoa?

Elle file à la cuisine. On se tord de rire quand je lui raconte l’histoire de mon caca dans les pantalons lorsque j’étais gamin. Je me revois tout nu dans la baignoire. 

 

Un vieux disque “cajun”: “Où sont les coucous allés?”.

On parle ensuite de cette banque en Angleterre, de cette machine qui débitait les billets à n’importe qui, à volonté.

“Be honnest” concluait le journaliste de la BBC….en demandant aux auditeurs de téléphoner pour dire ce que eux auraient fait en découvrant…la bulle du banquier manchot. Be honnest….quels critères, quelle morale?

Tran nous porte un grape-fruit rose, décortiqué,….ceux que je préfère…avec un peu de sel, du piment et des miettes de cacahouète.

 

29 Janvier 2…, Mercredi

En rentrant de ville, je me suis écroulé, anéanti comme si j’avais effectué une longue randonnée, le temps de me faire un thé (Prince de Galles), de monter un os pour la chienne, d’avaler les pâtisseries que je venais d’acheter à la Delicatessen du Métropole. Rien vu des nouvelles de Radio Canada, juste capable de réaliser qu’ils repassaient bêtement  le Journal d’hier. Quel culot!

Pyramide?…. loupé!

Hier soir Tran a ramené les billets d’avion et son passeport. J’ai planqué tout ça dans le tiroir de mon “bureau”. Un oeil sur le prix. Une affaire? Pas si sûr. Mais tant pis, elle a besoin d’un break. Il y a un mois ma compagne a décrété que je m’ennuyais de la neige. C’est notre manière de nous aimer, on se renvoie la “faute”.

Alors je me méfie, avec le Têt, la banque fermera.

Ainsi me suis-je retrouvé, ce matin, sur le bord de la route à attendre mon taxi. Embouteillage, parviendra-t-il jusqu’ici? Je remonte la file. Ah! Le voilà! Un illimuiné ce chauffeur! Ma chance! Deux colonnes d’impatients, ce qui n’arrange rien (la rue est à sens unique …pour les quatre-roues uniquement). Klaxons a tout va!  Il a décoré sa “console”, son bastringue, y’a un aut’e mot mais il ne me revient pas. Le “S” qui siphonne vers le temple vaut bien celui de ma colonne vertébrale, ça coince itou, avance pénible. Dix heures trente, je croyais qu’on y échapperait. Il faudrait transférer le marché ailleurs, voilà bien une  remarque de “blanc”, et quoi encore, là il est au centre, près des clients, ou alors ouvrir une route par derrière. Je pense au voisin, membre du comité de quartier. Il fait une collecte depuis plusieurs années pour créer une place de sport, que les enfants puissent jouer au foot sur un vrai terrain. Que deviennent ces sous? Les campagnardes degustent les gaz des motos, des voitures, des bus et des camions, assises sur le bord de la chaussée qu’elles colonisent gloutonnement.

Bye le siphon, ce connard de chauffeur s’enfuit tout faux, sur une route encore plus encombrée, il doit aimer souffrir, pourtant je le sens qui s’énerve, moi aussi, impossible de me “distancer” de son problème. Une ambulance hurle à mort mais personne ne lui cède le passage, on voit qu’elle ne transporte que des employés qui rentrent chez eux.  Heureusement car si’y’avait un accidenté à l’intérieur!. La courtoisie n’est pas de mise. La courtoisie est profondément anti-marxiste.

Je répète le nom de la rue ….où en principe je dois me rendre. 

 

-          Ok, ok….répond le chauffeur agacé par ma méfiance.

 

Finalement on débouche sur Dien Bien ….encore plus de caca….je lui paie sa course et quitte le taxi, l’abandonne à son triste sort. Trang Thi est là au bout, plus vite à pieds. Merde…onze heures!

Les dames m’accueillent gentiment, on parle français et anglais, tout mélangé. Avec les années je connais un peu de leur vie.

Mon compte est presque toujours vide, on en a un autre à l’ANZ mais ici au CL, c’est mon argent secret, Tran n’y a pas accès. Parfois elle me fait une remarque pleine d’ironie, je laisse pisser longuement la femelle du mérinos.

Arrêt à la boutique de films. VCD, DVD, CD…que de la piraterie. C’est là que j’ai trouvé “L’Insoutenable légèreté de l’être”….en anglais of course. Toujours pas d’ ”Américain bien tranquille”. Je teste mon dos. Pas encore sorti d’affaire… boudiou, je marche la main sur la hanche.

Allez …suffit! Métropole.

Le Grand Resto!

Huîtres grillées à l’ail (6)….vin blanc, un verre….Noisette d’agneau à la lavande (?), vin rouge…toujours du bordeaux …fromage, re-bordeaux café, café, grappa.

 Quarante francs suisses.

Je me dis que les huîtres ne sont peut-être pas fraîches….donc on les grille! Smart le chef!

Bonnes malgré tout…rien à dire.

Mot  croisé ….avorté  car je ne retrouve plus le nom de la capitale de la Slovénie. Quelle honte, un pays si proche de la Suisse (Ljubjiana) ….je m’offre Le Point, la couverture me plait : “Saddam vaut-il une guerre?”. La question contient la réponse, pas besoin de lire l’article. Un briquet…pour le prix de six….achetés dans la rue, mais voilà …dans la rue on attendrait que je marchande! Marchander pour un briquet-mon-cul!

Lecture du Courrier du Vietnam, torchon local en français. Là où j’ai pauvrement échoué….mon mot croisé. Un article sur les poissons-chats, un conflit américano-vietnamien. Une histoire sans fin. D’abord les pêcheurs (éleveurs) du Mékong  produisent un poisson qui n’est pas vraiment le poisson-chat. Les amerloques protègent leur propre business (ou celui des chinois naturalisés?), ici on crie au protectionnisme, on dénonce, on se scandalise comme des vierges folles…sans préciser qu’en raisons obscures, le Vietnam n’arrive pas à joindre l’OMC (WTO). “Des centaines de milliers de familles de pêcheurs vont souffrir de la decision US”…(taxation à l’importation de 30 a 60%)….des centaines de milliers de familles…une famille…quoi….au moins 6 personnes…qu’est-ce “des centaines de milliers” au moins deux…donc deux cent mille fois six…un million deux cent mille vietnamiens vivraient de la vente des poissons-chats aux américains? Un virgule…pour cent de la population totale? Exemple de journalisme lèche-cul, de propagande maladivement anti-us…même si je ne sympathise pas avec Bushi-Bushi, tout est de la sorte…cinquante ans de manipulation médiatique, malhonnêteté…avec des collabos journaleux  qui ne se font pas prier (normal).

Une tablée de suisses s’installe “non-fumeur”, j’ai fini mon repas et je pousse sur ma bouffarde pour les emmerder.

Condescendants,….des membres de la DDC, coopération helvétique, voilà comm’on dépense les sous du Tiers-Monde. Achschnickboutz, so, so…

De l’eau sur la table pour faire bien…et puis quand même…voilà, ô faiblesse,….ô pinard…

Mon pote Pierrot…. m’accuse d’aigreur. P’t’être. J’ai décidé de foutre le camp de la Suisse, non ce n’est pas de l’aigreur, une forme de dégoût….mais je ne les accuse de rien, les helvètes.

Autre article: L’Onu, la Commission des Droits de l’Homme…présidée par une lybienne! Grâce à l’hypocrisie européenne paraît-il!

Ouaip….France faux-cul, France faux-cul….rien qu’à voir la Côte d’Ivoire!

Trois verres de vin et une grappa….me voilà “pété”!…en train de cracher sur la Suisse et la France. Vive l’Italie!

 

Le Point…mieux que le Courrier….un article sur Israël, les élections, commentaires de l’excellentissime Enderlin (citoyen israëlien). Françoise Giroud:  “La fièvre d’être soi”, bon titre.

Pages littéraires : Jonathan Coe….le plus brillant des écrivains anglais. Merde en voilà encore un dont je ne connais rien! Merde.

Un nouveau film chinois (projeté extra muros only!). Moi qui avais bien aimé “Au revoir ma concubine”, j’en prends plein l’os…. Paraît que c’est pas ça le cinéma chinois, le vrai…: Jia Zhong-Ke, “Plaisirs Inconnus”.

C’est drôle! On peut devenir collabo sans s’en rendre compte et en aimant. 

 

30 Janvier 2..., Jeudi, veille d’Eve comme disent les anglo-saxons (on se demande où il ont trouvé une pareille expression!)

Tran vient de rentrer, couverte, chargée de fleurs, surtout des roses, une centaine pour huit francs!

Elle me rapporte aussi une bouteille de cognac, cadeau de la femme de ménage de son bureau.

La journée a été laborieuse. Une fois l’an Tonkin United fait son bilan. Ce coup-ci, Hien se sacrifie et restera seul à la boutique, enfin avec la bonne.

J’ai installé des chaises, mes “figures” sont prètes….du vrai business,…!

Mon beau-père est déjà là et se balade dans le jardin, les étudiants-artisans arrivent enfin,…en retard.

The, café, des croissants, ….

J’ouvre la séance:

 

6342 objets vendus l’an passé (année grégorienne), 2231 en stock au magasin, 1200 en consignation dans huit hôtels et trois boutiques de Sai Gon, deux hôtels à Da Lat, un hôtel à Da Nang, un hôtel à Hué, six hôtels à Ha Noï, un hôtel à Sa Pa.  

Je m’attarde sur la ventilation des ventes en soulignant que nos 200 “prototypes” de bougies moulées avec relief ont toutes été “liquidées”…un succès! Un peu de peine à faire bouger les mobiles, il faudra en revoir le concept promotionnel.

Les frais: location de la boutique, salaires fixes, primes, assurances maladie, accident et incendie, charges sociales, fiduciaires, électricité, téléphone, maintenance (surtout les climatiseurs et le four), matières premières (plâtre, vernis, peinture, bois….), cartons et emballages, imprimerie, taxes, cadeaux (Réunification en Avril, Fête nationale en Septembre et Têt en Janvier, 300 enveloppes, moyenne ~ deux cent mille dongs, Sfrs 18), extincteurs (la brigade du feu, qui détient le monopole de leur vente, nous oublige en à acheter trois par an….je ramène les vieux à la maison), photographe. Propagande, publicité.

J’explique pourquoi nous doublons notre contrôle fiduciaire (sur une base mensuelle) , d’abord une société française agréée par le Ministère des Finances, une autre, locale,  le beau-fils de l’inspecteur de la police commerciale. Simple, nous allons exporter un jour ou l’autre et il faudra convaincre les clients de notre sérieux. L’argument passe bien et impressionne favorablement la tablée.

 

Exporter! Le mot magique même pour des artistes!

Il ne m’a pas été facile de convaincre mon beau-père et Tran, mon épouse, de la nécessité d’enregistrer régulièrement nos “employés”, de les assurer convenablement, de nous acquitter des charges sociales (dont le chômage!). Après tout ils sont encore étudiants à l’Ecole d’Art.

Je sais qu’ils réfléchiront deux fois avant de se lancer dans la concurrence ou de se mettre “à leur  compte”. Ils touchent un fixe et 10% des ventes, attention… comme les objets sont répertoriés très précisément il est facile de rétribuer chacun le plus justement.

Les ventes des toiles de Hien passe sur un compte à part, ainsi que les créations personnelles des apprentis artistes. Je ne leur prends que 10% comme participation aux frais généraux.     

Mon beau-père reçoit un salaire.

Bien que toute l’équipe prenne son repas de midi derrière la boutique, je ne déduis rien (c’est la bonne qui cuit pour tout le monde).

 

Chiffre d’affaire brut de l’année passée : 951.355.000 VNd, approximativement Sfrs 90.000 ou US$ 60.000. Une progression de 22% sur l’exercice précédent!

Je leur passe une feuille qui permet de comprendre les ventes, ou surtout, d’identifier les meilleurs mois,…. 

Frais généraux: 630.450.000 VNd .

Là, la liste est longue et détaillée….tout y passe.

On s’arrête un moment pour que chacun ait le temps de s’étonner du prix de l’électricité (au moins deux millions par mois), le téléphone (pas de commentaires, on sait bien qu’une fois ou l’autre des appels traversent l’Atlantique ou le Pacifique…..je ne fais pas la police…je montre, c’est tout).

Personne ne s’indigne des commissions versées aux agents du fisc et aux  policiers du quartier. On m’interroge sur le bénéfice des activités publicitaires.

 

Pour la forme je propose que l’on vote l’adoption du rapport présenté.

En conclusion j’annonce ce que j’ai prévu de faire des bénéfices nets: d’abord un cinquième pour l’amortissement de l’investissement initial: (US$ 16.000), four, vitrine, climatiseurs, rénovation des WC, licence, …précisant qu’ainsi, dans deux ans, nous pourrons rafraîchir et même rénover la boutique.

L’aggrandir? Pourquoi pas. En ouvrir une au Sud? Ou à Hoi An!

Trente pour cent : fond de réserve, avec possibilité de prèts sans intérêts (par exemple pour l’achat d’une moto).

Le reste c’est pour moi. Rapidement je souligne que je prends à ma charge notre prochain voyage en Europe (Tran et moi)…vacances bien sûr (je souris) mais aussi contacts avec des clients potentiels (France, Allemagne, Suisse et Tchéquie où la petite soeur de mon épouse pourrait nous servir de “dealer”).

Il apparait évident que des négociations de ce genre ne peuvent etre menées que par un  “western”!

 

On passe au budget de l’année qui vient. Une progression de 20%? Possible?

Prime spéciale pour chaque “invention” nouvelle.

J’explique pour finir que le dossier d’enregistrement de la propriété intellectuelle de nos “objets” et du nom de la boutique (Tonkin Unitedâ) sont en bonnes voies. Discussion sur une probable compétition commerciale.

Plus un objectif export!

Maintenant …séance de brainstorming: nouvelles idées, aie!

 

On revote : le Budget de l’année de la Chèvre! Adopté dans la bonne humeur. Il inclut les ventes a l’etranger….alors qu’on n’en sait encore rien!!!

 

Chacun m’aide à installer le grill, tendre la nappe sur la table, apporter les boissons. Un livreur de chez Déli débarque avec des salades, trois plats froids, du pain et un grand gâteau. Les boissons refraîchissent dans la glacière).

Au milieu de l’après-midi, nous sommes à l’intérieur, en demi-cercle devant la cheminée. Les animaux se sont civilisés, même Malouf qui se lèche les babines sur les genoux de notre unique dame-artisane, une “skiny slim” élancée, souriante. Elle veut devenir sculpteur. C’est elle qui travaille sur le projet “santon”.

Toan est le plus “court”, sec avec une légère moustache. Teigneux, torturé mais super-doué. Un peintre. Hien le conseille. On lui monte sa première expo à la boutique et puis une autre suivra dans un hôtel Cinq Etoiles. Tran s’est appuyé la campagne d’information, les invitations, le cocktail, les gens des Ambassades viendront. 

 

Su ressemble à un gros bouddha, bonhomme, gentil, lent, toujours prèt au compromis, peintre, sculpteur…il ne sait pas, il se cherche sans se presser. Il a déjà toute une famille sur le dos et sa situation d’artisan lui convient bien. Il m’a demandé discrètement si un emprunt pour un terrain était possible. Je lui ai répondu que nous en parlerons prochainement…pourquoi pas.

Tien est un roublard mais talentueux, enfin pas un créateur, plutôt le genre “copie-sublimée”, l’art de piquer une inspiration, une idée, il la transforme, la masque…si quelqu’un passe à la concurrence ce sera lui. Mais son côté merdeux l’empêchera de tenir sa propre affaire, il aime les jeux, les paris et  les filles aux lèvres fines. Il n’arrête pas de me pomper l’air avec des avances.

 

Mon beau-père parle de sa jeunesse à Vinh, du maquis. Il a bu plus que d’habitude en oubliant les ordres de ses docteurs.

Je lui tends un paquet d’enveloppes : les primes “spéciales”. Il les distribue cérémonieusement, serrant la main de chacun. Il cligne de l’oeil et me tappe gentiment sur l’épaule en découvrant celle de “sa” bonne (Madame Minh….j’ai enfin appris son nom). Il la planque dans la poche de son gilet de laine, pliée en deux.

Le vieil homme a aussi eu la sienne. Au bout il ne me reste plus grand’chose….dix mille dollars à tout casser. Mais je n’oublie pas que d’une certaine manière je vis  “sur” ce commerce.

L’autre soir Tran paraissait particulièrement déprimée par son travail. Nous avons donc confirmé nos “vacances” en Europe ce qui a mis un peu de baume sur sa peine. Alors je me suis risqué à lui proposer:

-          Si un de tes patrons t’embête trop….envoie le chier proprement et tu rejoins notre business, on a besoin de quelqu’un pour les ventes.

-          Les ventes? Je suis nulle pour la vente.

-          Je sais mais nos ventes ne sont pas des vraies ventes, il faut visiter les hôtels et motiver les filles qui travaillent dans les boutiques, convaincre les managers d’accepter nos consignations….leur risque: zéro…ils ne payent qu’après!  Tu comprends si on laisse bêtement nos “souvenirs” sur une de leurs étagères... elles peuvent rester là des semaines….faut sans arrêt relancer l’enthousiasme. Organiser des soirées avec ces dames, des concours, des loteries… Et puis je suis certain qu’on pourrait monter des coups avec d’autres agences de tourisme….qu’ils envoient “systématiquement” leurs clients à la boutique, les japonais surtout. Tu serais bonne pour tout ce boulot! Enfin je suis convaincu qu’on pourrait faire mieux avec la “pub”. Et si on trouve deux ou trois agents en Europe, va falloir prévoir et organiser les “shipments”, la douane, le bastringue….

-          Tu feras aussi de la consignation en Europe.

-          Pour la première livraison….oui…après….30% à la commande, le reste en 180 jours…Le plus difficile : calculer les coûts d’expédition! Un truc pour toi…enfin, on a le temps. On commencerait par la Suisse et la Tchéquie, en Suisse mon ex-beauf pourrait nous servir d’agent,….au début, il est débrouille et ta soeur va faire un malheur à Prague, si elle ouvre une boutique avec son mec, tu crois qu’on pourrait lui envoyer d’autres produits, j’sais pas..des gilets H’Mong, des nappes brodées? Si ça marche on se mettra à la reproduction de vieilles maisons tchèques! Evidemment à l’export nos marges vont sérieusement diminuer. Faudra passer de quatre à six employés!  

Au fond tout cette affaire, cette avanture, je m’en fiche, il y a une part de défi, alors! Et nous n’avons pas grand’chose à perdre (avec mon fond de secours). Nous ne sommes pas très “gros”, pas trop de jalousie, on s’arrange pour qu’une part des bénéfices retombent sur nos voisins (l’un d’eux vient d’ouvrir un cybercafé, un autre un atelier de couture, la spécialiste du café a installé une nouvelle enseigne en français, en japonais et en anglais). Mon beau-père  fait sa tournée matinale, histoire de prendre les températures. Avant les étrangers descendaient Cha Ca ou remontaient Hang Dao mais ne se faufilaient que par erreur dans la traverse : Hang Ca. Même le poste de police voisin a fait un effort en collant au mur une immense carte de la ville et une pancarte :”Information – Welcome-Here you are”. La marchande de “tout” expose ses bouteilles d’eau avec le prix clairement affiché, y compris celui des briquets! Chacun fait un effort pour garder libre un espace de trottoir! Mon beau-père graisse la patte des balayeuses. Le mini-hôtel “Rose” annonce: Toilettes-WC-douche… très hygiéniques (en quatre langues car la proprio est une ancienne de Russie): 5000 VNd.  Massage des pieds, une heure:  Quarante mille VNd. Sandwich au pâté de canard, fromage d’Australie, soupe traditionnelle de Ha Noï. La pharmacienne n’a pas hésité à refaire son officine, maintenant fraîche et climatisée! Produits français, américains, anglais, médecine traditionnelle.

Bien sûr nous ne sommes pas à l’origine de cette petite révolution. Les uns et les autres ont observé…notre boutique mais encore les rues voisines du Vieux   Quartier des Trente Six Rues, le changement devenait inévitable. 

Mon beau-père, toujours lui, plus en forme que jamais, a entrepris une  négociation sensible…en vue… la refection de la façade frontale. En douceur sans effrayer les co-propriétaires, on verra. Je pense à du fer forgé couleur d’or et de jolies persiennes. On a le soutien du comité de préservation du Vieux Hanoï.

La fin d’une année encourage un inventaire. Pourquoi tout ce tralala. N’étais-je pas en paix chez moi dans ma petite “ferme”. C’est vrai qu’après deux ans d’excitation, je reprends mes distances et ne me pointe plus que rarement rue Hang Ca. Le vieux, M…, Tran surveillent tout. Hien met aussi du sien depuis quelques mois.

En cas de coup dur je n’ai que trois “protecteurs” au Nord, et encore ils ne tarderont pas à partir à la retraite. Le premier est un emmerdeur du Ministère du Commerce, un pinailleur qui prend plaisir à humilier et à rabaisser les hommes d’affaires européens. Lorsque je devais le rencontrer, je me préparais intérieurement mais ses longues leçons de morale marxiste finissaient par m’exaspérer…ce qu’il attendait. Je me pliais à tout et c’est la qu’enfin il montrait un autre visage (je ne crois pas que ce fût encore le”vrai”). Il faut que vous produisiez ce document….parce que….je sortais la pièce manquante de mon sac….et toc! oui mais il doit être attesté par…..voilà l’attestation…..mais avec une version anglaise car mes collaborateurs ne parlent pas bien le français….yops…traduction légalisée par le Ministère des Affaires Etrangères  …quoi encore? Il souriait et nous parlions de son frère qui vit a Paris….en rangeant mes précieux originaux dans une vieille chemise…sous le tas. A chaque visite j’oubliais un gros tube de dentifrice..ah! mon frère utilise le même à Paris…

Le deuxième, un type bien du Ministère de la Santé. Beaucoup ont tenté de le déloger mais il est un des rares à s’y connaître. A l’époque j’avais partiellement financé le traitement de sa fille dans un sanatorium autrichien. En plus c’est la parrain de Tran, une longue histoire du temps où il étudiait dans un pays de l’est européen et logeait à l’Ambassade, partageant souvent les repas des mes beaux-parents. Membre du Comité Central, mais nous ne parlons jamais de politique. Nous le visitons au Têt. Tran prétend qu’il m’aime bien parce que je ne sais pas mentir et que je ne lui ai jamais demandé aucune faveur.

Le troisième? Un phénomène, un ex-général, à moitié docteur de la brousse. Il y a dix ans il fait irruption dans mon bureau à Sai Gon “exigeant” mon aide pour le financement d’un colloque sur la transplantation rénale. Je n’ai même pas informé le “Siège” car nous n’avions rien à vendre dans ce domaine mais j’ai payé son raout, la bouffe, les billets des deux professeurs étrangers, spécialistes de la question, tout.

J’ai ensuite refilé le “bébé” à un collègue d’une boîte concurrente, qui, elle, fabriquait un tas de produits pour enrayer un éventuel rejet du greffon.

Plus tard on m’a invité à des essais sur des chiens. Je suis convaincu que l’équipe bouffait les clébards après leurs malheureuses expériences. Enfin il y eut le premier cas….humain.

Un jour il m’a demandé pourquoi j’avais soutenu son projet, j’ai répondu qu’il avait une bonne tête pour un général. Il a bien ri, poliment.

Il m’a redonné sa carte avec un numéro de téléphone ajouté à la main.

-          Si un jour quelqu’un, qui que ce soit, vous fait des ennuis, appelez-moi!

A Sai Gon, deux personnes peuvent m’être utile ou éventuellement me tirer d’un mauvais pas. Un de mes compatriotes, installé au pays depuis plus de quinze ans. Il n’est pas puissant mais il sait, en moins de deux minutes, identifier l’origine d’un problème…qui n’est jamais là où on l’imagine….nous autres niaiseux.

Enfin M.Trung, membre du Conseil Municipal, “chairman” d’un vingtaine de sociétés d’état, co-propriétaire d’un bistro pas loin du théâtre. Lui? Impossible de savoir pourquoi…il m’adore! Est-ce parce qu’à chaque rencontre, je demande des nouvelles de ses “enfants”? Il se réjouit aussi que j’aie épousé une femme du nord, de la province de Nghé An, là d’où vient  sa propre famille!

Tran préparait le repas du soir lorsque le Dr Tien a debarqué avec une jeune femme….une “nièce” annonce-t-il. Il est rigolo…lui. Son français est plus que parfait. Je lui refile quelquefois des romans policiers. Malgré ses soixante-dix ans  le sexe le travaille sans pitié. Alors on en parle.

La petite dame suce son thé en souriant. Tran nous rejoint et soudain je me rends vite compte qu’il y a “complot”. Sinon elle se serait mise à râler en les voyant arriver après huit heures du soir.

Ils affirment qu’ils ont mangé mais on rajoute deux couverts. Je sors une bouteille de vin francais.

Le Dr Tien a fait l’Algérie, l’Angola…coopération vietnamienne. Au retour on l’a casé au Ministère et il a vite appris à se rendre indispensable. Polyglotte, parfaite connaissance de la mentalité européenne, capable d’avaler les pires couleuvres (avec le sourire), curieux et prudent. Trapéziste en politique!

Là, ce soir, avec la complicité de mon épouse (elle a certainement ses raisons) il essaie de me fourguer cette “nièce”, étudiante à l’Ecole d’Art, section porcelaine et céramique.

Bon…oui sous réserve de l’approbation de nos quatre artisans….heu.

Ma compagne me la coupe : “Ils sont d’accord, ils la connaissent déjà.”

B’en alors pourquoi me demander? Si les kinh ont la symbolique dans le sang, ils maîtrisent avec autant d’aisance l’art de la manipulation.

 

31 Janvier 2…, Vendredi

Elle a congé, Yen aussi.  Tout en vrac! Quelle journée! Ce matin, bien que nous ayons le temps, je me lève tôt, mon dos, pas vraiment mal, je me tourne et retourne dans le lit, vaut mieux les laisser dormir paisiblement.

Après quelques hésitations, Salomé m’a suivi, un brin paresseuse. Déjà le brouhaha des motos, les rires des femmes allant au marché, premières arrivées…mieux servies.

Hier soir Tran a ramené des poulets et des pousses de bambou qui puent la pisse. Un peu avant son retour elle me téléphone m’avertissant qu’un chauffeur (Son-le-Chauve) passerait pour déposer un carton de gateaux de riz. Autrefois les femmes et leurs filles les cuisaient à la maison. Maintenant on en trouve dans des magasins mais chacune a son fournisseur préféré, celui qui sait les préparer selon la tradition. Humides, emballés dans de grandes feuilles de palmier (?) comme s’il fallait qu’une fermentation s’accomplisse.

 

Elle nettoie, elle change les draps, elle file à son tour au marché, à pieds par prudence, un autre paquet de roses….le prix monte durant les fêtes.

Son-le-Chauve revient avec sa femme, ainsi qu’il le fait chaque année, pour nous offrir “sa” branche de pommier, plus une bouteille de vin et une boîte de chocolats (belges). Je l’aime bien ce bonhomme, obsédé par sa calvitie, gentil, naïf, généreux. Il vénère Tran. Au bureau, ma femme a la réputation de toujours exprimer sa pensée, sans détours, elle se complique la vie, surtout avec les “expats” (étrangers, américains ou britanniques) qui veulent qu’on ait l’air d’y croire, qui détestent le doute….et l’expression du doute. Mais les “sous” et les petit(e)s s’en réfèrent à son “dixit” pour savoir sur quels flots roule la galère...vraiment. Son sens de l’humour aussi, supposé ramollir quelques rudes interventions. Parfois crues….incroyable ce que les femmes d’ici peuvent se montrer coquines….en paroles!

Salomé a l’air triste, elle aurait aimé que je l’emmène en promenade mais là, aujourd’hui,….priorités…priorités, ma Chère! Je fais mon possible pour contribuer à l’astiquage de la baraque. Même les plantes auront droit à quelques brassées d’engrais! Je lustre leur feuillage.

Les éboueurs masqués passent et repassent poussant leur container à roulettes.

Kling, kling, kling (un bois sur un tuyau de fer). Chacun se débarrasse de ses déchets, pas question de traverser la nuit avec les ordures de l’an passé!

Nos poules ne savent pas la chance qu’elles ont. J’ai interdit qu’on les estourbisse quelle que soit l’occasion, qu’on pique leurs oeufs…normal. Monsieur de Poméranie s’en branle. Il lance ses cocoricos protestant à sa manière contre des klaxons cacophones et anonymes.

Je pompe l’eau, remplissant ras-bord les deux réservoirs (celui du rez et celui du toit).

Ah! Le drapeau, j’avais oublié. Un moment j’hésite….pourquoi mettre le drapeau? N’est-ce pas une fête familiale, religieuse? Rien à voir avec la “nation”.

Bon…je capitule et dresse l’étendard à la fenêtre. Un peu plus tard je surprendrai le regard satisfait du voisin, membre du comité de quartier.

Pas un ne manque aux alentours. Aie, j’ai bien fait, on aurait mal noté notre abstention!

Yen n’en fiche pas une, sa chambre est dégueulasse. Elle partira vers les midi pour célébrer l’anniversaire de son grand’père paternel, ce soir elle nous rejoindra pour le repas de famille chez mon beau-père, derrière la boutique (fermée jusqu’a Mardi). La bonne est rentrée dans son village (…..jusqu’à Mardi!).

Sous le coin à Bouddha la table est mise, les offrandes, un repas complet, couverts pour deux (?).

 

L’autre jour Yen nous raconte une drôle d’histoire. Son école organise une cérémonie pour la fin du premier semestre (pas vraiment six mois, enfin,…), Seuls les élèves ayant obtenu des notes “bonnes” et “moyennes” sont conviés à la fête, les autres, les mauvais, les faibles, les trainards…nenni!

Tran saute au plafond. Bêtement je lance que c’est  “capitaliste”, les plus forts gagnent, Tran re-saute au plafond : “ Non, les capitalistes ne feraient pas une pareille connerie!”. Je la ferme.

Je la rouvre: “ Ce qui me chagrine, c’est qu’aucun étudiant n’ait bouge un oeil, tenté de protester (je me tourne vers la jeune fille)….pourtant t’as des copains parmi  ces moins-bons, ca t’ennuie pas qu’ils (elles) soient ainsi rejeté(e)s?”.

Rien. Elle a pris l’habitude de plier, de laisser faire en oubliant tout, les oreilles pleines de musique, en jouant sur l’ordinateur, en lisant des revues “teenager”. Le reste n’est qu’une supercherie sans intérêt. Docilité? Régression?

Hier soir après le “souper” j’ai posé une question à mon épouse: “Pourquoi tu fais  ce bastringue pour le Têt?”. Prudemment j’ai poursuivi en précisant que je trouvais ces traditions bien sympathiques. Elle m’a répondu que c’etait rassurant, qu’elle le faisait parce qu’elle l’avait toujours vu faire. Pourtant elle ne connaît pas grand’chose du symbolisme…quel symbolisme, quelle mystique? La Tradition des ancêtres? Le bouddhisme, le taoisme, le confucianisme, salade mêlée! Je continue en l’interrogeant: “ Est-ce que ta fille fera encore pareil?”.

-          Si c’est pas elle, ce sera son mari!

Mais que restera-t-il dans l’esprit? Ton Noël? Pas beaucoup mieux, d’accord.

 

Le chat Maalouf n’arrange pas son cas, il vient de pisser sur les coussins du salon.

Tiens, encore hier soir! Tran gémit subitement, elle calcule (…soudain!) ! Le billet à prix réduit de Lufthansa…départ Sai Gon. Oui mais on rajoute Ha Noi-Sai Gon (US$ 160 pour elle et 200 pour moi….estranger!), une nuit à l’hôtel au départ et une nuit au retour pour “catcher” la correspondance, les repas, on loupe les “miles” d’Air France (qui, elle, vole au départ de Ha Noï!)…en gros 5% de la valeur du billet. Quelle affaire. Mathématiques vietnamiennes! On se battra pour un sous et paff…là…juste parce que l’offre paraissait alléchante….790 dollars au lieu des mille et quelques habituels….

Je la console mais elle ne m’écoute pas.

-          En plus on perd deux jours …à  Sai Gon. Deux jours de plus…séparés de Salomé! (Maalouf et les autres se passent de nous sans état d’âme).

Elle ne pensait pas : on perd deux jours de vacances en Europe….non deux jours de plus …loin de notre chienne!

-          Et puis y’aura plein d’overseas d’Allemagne! (dans l’avion). Elle n’a aucune estime pour ces viets de l’étranger, surtout ces maffieux de l’ancienne DDR. Contrairement aux boat people et autres échappés de la première heure, ces derniers se glorifient d’un hypothétique passé héroïque de leur géniteurs. La bile du régime. 

 

Bon les voilà parties en ville, Yen  chez ses grands-parents, Tran pour d’ultimes achats. 

 

6 Fevrier 2…, Jeudi, presqu’une semaine sans rien écrire…  

Nous devrions être à Sai Gon, moi au bord de la piscine, le dos au soleil, enfin pas trop, elle à courir à droite et à gauche, pas vraiment pour faire des achats, peut-être pour voir une “vieille” amie installée au Sud. Ce soir nous serions allés au Restaurant de la Jeunesse pour manger des ailes de poulet….frites après une soupe de raviolis! En transit pour l’Europe.

Mais hélas, avant’hier-nuit on a hospitalisé son père. En urgence. Il se plaignait depuis quelques temps de sévères chutes de tension vers les une heure du matin. Métronome. Sa température est brusquement  tombée à trente cinq.

Tran a reçu un coup de téléphone à l’aube. Nous dormions. On s’est remué. Tout etait prévu pour le départ. Hien devait s’installer chez nous pour prendre soin des bêtes. J’avais descendu dans le jardin les deux ou trois plantes intérieures (malgré mon dos). Une “dernière” lessive pour ne pas retrouver le panier plein en rentrant.

Elle a passé sa journée, un bon bout, à l’hôpital (celui des Cadres!) . La famille se mobilise. J’ai préparé mon “lunch” et celui de notre ménagerie (Salomé et Maalouf ont odieusement boudé le blanc de poulet mélangé au riz….Tran insiste toujours: les chats et les chiens asiatiques doivent manger du riz! Je me souviens de cette visite au monastère des femmes à la sortie de Da lat, plein de chiens végétariens….les pauvres).

Elle me téléphone pour dire qu’on voyagera malgré tout, à toi de voir réponds-je, elle rappelle….non il faut annuler, les docteurs ont dit que c’est l’affaire de deux-trois jours, la fin des haricots. Il va fermer son parapluie.

Elle rentre et annonce qu’il y aura une réunion des soeurs à cinq heures trente à l’hôpital, pour décider si oui ou non il faut alerter la parenté (qui vit en province). Je tire la gueule…moi je n’ai rien à décider, je pense: laissez le mourir tranquille.

Yen arrive à la maison, elle devait “normalement” rester chez son père, en ville. Elle n’aime pas la tournure prise par les événements, penaude, maladroite ce qui ne signifie rien, elle ressent certainement une tristesse ou une peine mais là, elle est comme moi, terrorisée par les “procédures” qui s’annoncent. Elle est aussi devant un mystère, c’est ce qui me vient à l’esprit, à l’école on ne leur enseigne que la morale de Vladi Oulianov, dit Le-Nin par ici (ou Johnny Walker), et de Charlot Marx. Pauvres athées! Croire à l’Après, d’une manière ou d’une autre c’est vouloir continuer à aimer ses “disparus”. Sinon, pourquoi fleurir leurs tombes ou préparer chaque année ces offrandes?

L’après-midi? On dort chacun dans notre coin. Je reste immobile sur le dos histoire de me détendre. Ca sent la merde….En me relevant je découvre une crote de Maalouf, sèche…béate, à vingt centimètres de mon oreiller!  J’en ris!

C’est l’heure, on y va. Elle veut qu’on prenne le Bus 24 à côté du marché. Il faut économiser le taxi qui coûte cher. Un biais si le vieux dure. Elle a déjà deboursée pas mal pour les docteurs et tout le matériel nécessaire aux soins (inclus les trucs à collecter pipis et cacas). Le “24” passe sans nous prendre….il laisse bien descendre deux ou trois personnes …monter….nenni. Ah?

Taxi, hep….taxi….

Au portail de l’hôpital un bonhomme nous rejoint, soixante ans?…par là…., le pas décidé, une femme le suit…sa  femme? (non, plus tard on me murmurera que c’est sa maîtresse mais aussi une ancienne copine du grand’père, et lui, le “pas décidé,” le “vice”, le “deputy” à qui le vieux a refilé son flambeau de directeur en prenant sa retraite).

C’est le-pas-décidé qui entre en premier. Ah! Bon!

Tout seul.

On attend.

La soeur M.. et le beauf sont là, l’autre frangine aussi, soeur “morale”, avec son mari, chercheur à l’institut-nuts. Hop, c’est not’e tour, une fournée. Chacun y va d’un geste, d’un calin ou presse une orange, remplit un biberon.  Tran téléphone. Elle note ensuite des numéros sur une serviette en papier. Elle explique à “Deuxième-beauf-chercheur-qui-trouve-rien-à-l’institut-nuts” comment fonctionne mon téléphone portable (il n’en a pas)…au cas, et elle le lui laisse. Il ne me manquera pas!

Tran se tourne vers moi et me demande de faire la toilette de son père.

Tiens! Elle ne sait pas, avoue-t-elle. Alors j’y vais: la figure avec une lavette, les oreilles, le nez, les lèvres, le cou la nuque. Les bras et la poitrine. Pas question de le soulever, paraît-il, tout péterait à l’intérieur du body, bon, une autre lavette…sans oublier de bien le sécher, les pieds, les jambes, la bistouriquette et enfin le trou du cul. J’y vais gaiment en racontant au malade que ça me rappelle ma “jeunesse”, mon stage en “Chir”. Les autres me regardent légèrement étonnés de mon “savoir-faire”, de mon (ma fausse…wouaff!) aisance naturelle. J’ai presqu’envie de leur sortir ce vieux “gag”, l’histoire du nouveau à qui on donne l’ordre de ramasser pour la nuit tous les dentiers des vioques de l’étage, de les nettoyer à la brosse. Le jeunot se met à sa collecte, de chambre en chambre, en vrac dans une grande cuvette plastique qu’on lui a tendue, naïvement, … wouaff…on l’attend en se bidonnant…..:”Tiens…et demain…comment vas-tu faire pour rendre le bon à chacun….?…wouafff!”. Panique du niaiseux! Le truc marche avec tous les frais moulus! J’en fus!  C’est mieux que je la garde pour moi cette histoire! Non?

Le vieux me parle français, me pose des questions, sans illusions. Mais il a peur de mourir. C’est une autre panique dans ses yeux. En français il a moins honte de manifester sa trouille, devant la famille c’est aut’chose.

Je lui masse les épaules et doucement je glisse ma main sous son dos pour soulager ses lombaires…en pensant aux miennes. Vilaine cicatrice incurvée au bas des reins.

Une balle dans le dos en 45.

Parfois il a un hoquet.

Yen s’assied un moment mais elle n’aime pas cette attente, car on attend. Ses cousins arrivent, le neveu “gangster” T… et sa petite soeur C... Lui, le môme, le voleur de ménate, il m’épate, capable de montrer si simplement un peu d’affection pour son grand’père qui pourtant ne le porte pas dans son coeur. Sa soeur semble craintive mais le vieux lui prend la main tendrement.

M…, la mère, s’est installée sur le lit vide (sans drap), à côté, et elle s’endort. Son mari, le Moitié-en-faillite, c’lui qui a plein de soucis avec ses affaires louches, …lui a vraiment de la peine. Une tristesse sincère. Vas comprendre!

L’autre beauf? Tran m’apprend qu’il se sent investi d’un droit d’aînesse. Ah! Il voudrait diriger les opérations. Il donne des ordres aux femmes en tapotant doucement la poitrine de son beau-père mourant. Son fils est aux Emirats pour Schlum, une compagnie de service, spécialisée dans la maintenance des forages pétroliers.

Les enfants se tirent. Ensuite le mari de M.. et les autres.

Surprise: la bonne arrive. Je la trouve belle. Du coup le vieux se sent rassuré. Elle lui masse les pieds. Là elle ne joue plus la défférente, la servante, elle a décidé, semble-t-il,  d’emmancher un deuxième rôle, celui d’accompagnatrice, après tout c’est quand même elle qui s’est appuyée le pépé ces trois dernières longues années! Elle défait son chignon. Je revois Simenon et sa nénette à la Clinique C….dans les années septante.

Une infirmière vient prendre la tension et porter une pilule. Une gentille dame.   

 

7 Fevrier 2…, Vendredi

Me suis réveillé d’une humeur grinche, pourtant mes vertèbres se font discrètes, temps plus sec, soleil et puis j’ai abandonné les “bonbons” prescrits pour en revenir à mes surdoses de corticoïdes. Vaisselle, assis sur une chaise!

Tué douze cafards…dont quelques enfants.

Je me le confirme….pas question de vieillir.

Y’a un gros trou entre le 31 Janvier et le 6 Février. Revenons en arrière.

Comblons pour mémoire: le 31 nous sommes allés chez le grand’père, les trois soeurs, leurs maris, les mômes. Un bon repas de veillée. Y’avait deux  chatons, frère et soeur, qui jouaient. L’un portait un collier avec une petite chaîne qui trainait par terre et l’obligeait à marcher comme un éléphant.

 

En venant nous avons traversé le marché aux plantes….on y négociait les dernières branches de pommiers roses et quelques kumquats miteux. A mesure les boutiques fermaient, surtout celles qui ne vendent pas de cadeaux ou de la nourriture, mais par exemple des pots d’échappement de moto. Ah!…par contre les stations de lavage travaillaient à mort. Chacun exigeant qu’on lustre sa péteuse, sa Honda, sa Susuk, sa Vespa,… Des femmes marchandaient des paillasses. Il est de bon goût d’en changer pour le Nouvel-An.

On est rentre tôt et on a regardé la télé-caca. Humour! On voit un étranger qui veut se payer une bouteille de whisky au shop du coin et paff il tombe sur un flacon qui porte sa signature et une dédicace au coin de l’étiquette :”Bonne Année”, il venait de l’offrir à l’un de ses collaborateurs vietnamiens….qui l’a bien évidemment (soit) fait suivre à un voisin qui lui…, (soit) recyclée on the spot in the market…ah!ah!

A minuit je suis monté dans mon atelier pour observer les feux d’artifice. Autrefois on aurait entendu craquer les pétards en rafale. Les voisins apparaissent sur leur terrasse, lui en complet-cravate. Il vient de sortir et de sonner à sa porte… l’histoire du premier-visiteur-bonnes-augures….coucou, c’est moi!

On a enfermé Maalouf aux chiottes pour éviter la malchance.

Je questionne Tran et Yen à propos de leurs résolutions pour l’année à venir?  

Descente au “frigo”, soif….zut…elle a même remplit la boîte à sucre et celle à café….ras-bord! Tout au fridge à cause de l’humidité. Les spaghetti itou!

Le lendemain on se remet en marche…paresseuse. La ville est d’un calme extraordinaire. Les échoppes sont closes, pas de voiture, pas de motos, pas de bruit.

Impression unique….jour unique. Si je ne devais garder qu’une image de ce pays ce serait celle de ce matin du Jour de l’An en ville de Ha Noï. 

 

Quelques pauvres touristes se demandent se qu’ils vont bien pouvoir faire.

Les familles sont chez elles, on commence les visites, la tournée en suivant les convenances.

Nous revenons chez le vieux.

Yen se tire chez son paternel, …normal. Cadeaux-money-enveloppes-bonne fortune! Elle veut en récolter un max’.

Dimanche, flemme, quelques visites aux alentours….ceux-ci viendront plus tard chez nous. Thé, alcool, fruits secs et confits….cognac ou whisky.

Lundi farniente. “Ils” ont ouvert les chaînes codées (tv) à l’occasion du Têt.

Mardi 4 Février. Animation. Fini le long congé d’antan. Business oblige. Zou. On va déranger “mon” docteur chez lui-at-home, au diable vert, quartier inconnu!. Rue Thai Ha….bloc 3, ward “B”, ruelle 75c, maison 42. Bien évidemment on se perd.

Un labyrinthe!.

Nous y voilà….enfin!. Heureusement ces courtoisies sont souvent brèves afin d’éviter les queues “têtales”. Tradition = courtoisie, sorry Lé-Nin and Coll.

Sympa le bonhomme. Evidemment j’ai oublié que sa femme travaille pour l’Unicef. Alors quand je repose la question j’ai l’air d’un con. Je suis con.

 

Entre temps le téléphone portable de Tran crépite. Yapa-la-la-la-li….la nièce de Sai Gon est de passage à Ha Noï, excursion à la baie d’Ha Long avec son gamin et le mari qui a été opéré d’un cancer des poumons. Contrairement au pronostic familial…il repique bien. Tran improvise, l’occasion est rare.

Repas prévu ce soir a la maison.

Mon épouse se met à l’oeuvre. Tout le “monde” sera là! Le grand’père pourra voir son unique arrière-petit-fils! Tran adore les grands bastringues.

Comme souvent, ses plats sont succulents, enfin pour les invités. Moi je sers d’assistant, je dresse la table, un joli verbe ce “dresser”, non ? , ….j’évacue méthodiquement en songeant à la vaisselle.

Salomé gueule, Maalouf se planque. Monsieur de Poméranie navigue sur d’étranges fuseaux horaires. Pleine Lune?

Ils débarquent en masse….douze , treize…? Une table spéciale pour les “enfants”…nous autres, les grands, autour du “coin à manger”. Je sers à boire.

Ma “Nghé-Anhaise” s’est saignée pour l’achat d’un container “quatre litres”, un rouge australien pas malhonnête du tout. Le vieux a froid (un signe ?) c’est ce soir qu’il fera son “attaque”, mais il est heureux avec les siens. J’ai sorti l’album de photos, notre voyage de l’an passé en Tchéquie….la rencontre avec la cadette exilée, celle qui refuse de revenir au pays. Celle qui lui en veut.

Seuls, on finira cette foutue vaisselle à minuit (j’essuie assis sur une chaise). Mes reins sont en compote. On ne se doute pas que, de retour chez lui, le grand’père s’est senti mal.

Voila, en gros j’ai comblé le trou, histoire de m’y retrouver, qui sait plus tard en relisant, si jamais il m’en prenait l’envie. 

 

L’Hôpital des Cadres! Je ne sais pas comment fonctionne ce complexe d’origine coloniale. La chambre est spacieuse, trois lits mais un seul malade. Un énorme rat tente une approche, Tran le chasse pourtant d’habitude elle en a peur.

-          Aussi gros que Maalouf!

Elle zigouille un moustique. Y’a une armoire vieillotte et vitrée, des produits d’urgence. Comme je m’emmerde je zieute…bien montée! Même de la morphine. Il me vient l’idée d’en piquer… une idée derrière la tête.

Puisque c’est ce qu’on attend de moi je fais la toilette du vieux. Tran me tend les lavettes. Je travaille avec deux cuvettes. L’aînée des soeurs, la mère de la nièce-en-visite-à-Ha Long, débarque de Sai Gon. Elle se montre guillerette malgré les circonstances, faut dire que le malade récupère. Elle était médecin, la voilà “jeune retraitée”. Th… a rencontré les toubibs du service, des confrères. Paraît qu’il aurait été possible de l’opérer cinq ans plus tôt! Mais voilà, pas à l’Hôpital des Cadres …ailleurs au “108” …jalousie de spécialistes, ces connards prétendent qu’ils ignoraient qu’on puisse pratiquer ce genre d’interventions à Ha Noï.

Mon cul, l’autre établissement concerné est a moins de trois cents mètres! Main’nant c’est foutu.

Bien….la toilette. Je me prends au sérieux, je vire la foule. Les couilles et le cul sont propres et la peau du dos n’est pas encore blessée.

La foule? Oui, la province, le Nghé Anh, afflue, des antiquités, ses deux frères et leur soeur. L’un deux voulait prendre les affaires en main. M.. a bondi. La troupe “in corpore” tient meeting sur le perron de l’hostio. Le vieux frère pensait qu’il fallait en profiter pour mettre au point les funérailles avec l’accord du mourant. M.. a rebondi et a lancé que non….pour le moment il tient le coup et on ne parlera que des tournus pour les soins, les veilles, l’alimentation….

Les funérailleries…plus tard!

Le frère échaudé rétorque brusquement qu’on connaissait bien son caractère de cochon.

M.. a repondu : “Et bien tant mieux! J’ai de qui tenir, hum?”

Alors Th.. la soeur médecin en retraite de Sai Gon, a abordé les aspects financiers. Tran a payé l’essentiel jusqu’ici mais elle considère qu’on ne doit ouvrir les comptes qu’à partir d’aujourd’hui. Elle précise pour que ce soit clair qu’elle prend en charge depuis longtemps la moitié du salaire de la bonne et que celle-ci  ne s’occupera “désormais” que du père…rien d’autre, compris? Le beauf’, le mari de M… (qui paye l’autre moitié), se serait vexé mais la pique ne lui était pas vraiment adressée…non…elle visait l’autre soeur de Ha Noï, la pingre-faux-cul, et son pseudo-scientifique de mari, les parents du “pétrolier Schlum des Emirats”…qui se fait cinq mille dollars par mois! M.. fermera sa boutique de meuble, le temps qu’il faudra, Tran et la soeur de Sai Gon lui payeront un million de dongs par mois, en compensation. Dixit Tran. Les frais de traitement seront partagés entre les quatre des cinq soeurs. Dixit Tran!

Moi je n’ai pas assisté à cette réunion. Le vieux me demande ce qu’il se passe. Je lui explique brièvement mais sans rien cacher: “on” organise la maintenance  comme à l’armée…y’a beaucoup de candidats-chefs mais Tran vous resssemble trop pour la fermer!”. Il sourit. Tran reste sa favorite.

J’ai envie de sortir ce que j’ai sur le coeur à propos de la cadette oubliée en Tchéquie, pas informée. C’est lui qui aurait demandé fermement qu’on ne l’alarme pas. J’suis pas d’accord mais je la boucle. D’ailleurs c’est ma nouvelle stratégie, chaque fois qu’il me vient un mot, clac…je serre les mâchoires à bêtises, chaque fois que quelqu’un entre, je lui laisse ma chaise. Pour la toilette… non, là personne ne se présente pour me piquer le business.

Bien…le vide, le gros des envahisseurs a disparu. L’aînée Th.. et Tran, des deux côtés du lit. Elles plaisantent gentiment. La première compte ses sous et s’inquiète de ce qu’elle a laissé dans le “safe” de l’hôtel. Tran raconte une histoire qui court en ville, un coffre aurait été vidé et l’hôtel prétendrait qu’il ne pouvait pas savoir combien y avait dans l’enveloppe (vingt mille dollars paraît-il), c’est vrai…comment savoir?

L’ainée est heureuse de s’être enfuie de Sai Gon. Elle s’ennuyait de son petit fils, le môme de notre nièce et du mari-cancéreux-en-rémission-en-excursion-a-Ha Long. Le mari de cette soeur aînée est aussi en retraite et depuis peu il a trouvé un petit job,  un copain le lui a offert: superviser des travaux à Kon Tum, dans les montagnes du Centre, là où l’on cultive le café. Heureux comme une hirondelle, le mari, dans ses collines. Il raconte que chez lui “on” l’engueule et on le traite de moins que rien, ce qu’il fut, sur les plateaux, les campagnard(e)s le soignent enfin comme un prince. Le Dimanche, il sirote son café en lisant le journal, l’air est frais, la forêt bien belle, les légumes variées, les masseuses abordables.

Je risque: “ Peut’être qu’il profite aussi d’autres bien agréables services!”

L’aînée, l’épouse, n’en doute pas une seconde mais s’en fiche ….impérialement! Bref, malgré l’état de son père, là voilà heureuse, aventurière.

Elle montre ses bijoux. Th… aime l’or et l’argent, elle adore magouiller.

Une infirmière apparaît. Piqure. Pas mal! Droit dans la veine qui ne saute pas.

Hôpital-maison-hôpital-maison. On a donc re-pris un bus pour re-re-venir à l’hostio. Un autre numéro, le “30”….quelle virée! Une heure. Je découvre des quartiers complètement inconnus. Tran s’inquiète du bon arrêt et ne fait confiance à personne. Ouf, un siège. Zut je ne serai pas poli, mon dos,…et puis personne n’est courtois, la courtoisie….passons. Ma femme a trouvé son coin et continue à questionner les voyageurs à la ronde…toujours le bon arrêt. Une étudiante en jeans colle son cul contre mon épaule (elle est debout…moi assis…donc), merde, elle l’enfonce! J’aurais pas cru! De temps à autre je joue de l’acromion.

En bout de course on reste les derniers. Au revoir “ma” lycéenne.

Tard…..le beauf vexé (le mari de M.., l’homme en faillite permanente) réapparaît en compagnie de sa fille C.. (celle qui passe un weed-end sur deux chez nous). C.. est jouyeuse, elle mordille un morceau de riz gluant. Le vieux tend la main pour prendre la sienne. Cette petite fille espiègle le rassure. De quoi? 

Le grand-père refuse de crever. Sa mine est franchement meilleure.

La bonne arrive à son tour, le vieux tourn’heureux, jovial. Elle se coiffe.  

 

En rentrant Tran m’annonce qu’après tout, dans une semaine ou deux nous pourrions finalement partir en Europe.

Silence mais je n’en pense pas moins. Je viens d’annuler la réservation de nos Bed & Breakfast, le trip en Tchéquie, la location de la voiture, les rendez-vous…. De son côté elle “chasse” Lufthansa pour récupérer ce qui peut l’être de nos tickets “offre spéciale imbattable”. Pouff on “paume” deux cents dollars par ticket. Pas grave, juste une histoire de mathématique….méfiance pour les “occasions uniques”. J’ai toujours préféré payer plein pot, au moins ça vous laisse quelques droits.  

Et puis elle me résume le meeting, les “shifts”…. Le mari de L..-la-Pingre, le chercheur, et H…-le-Vexe-en-faillite (mari de M..) feront les nuits. Ah!

La bonne…un vingt quatre sur vingt quatre…alors bon, on double le nursing staff? Passons.

M..…les journées….re-avec la bonne…on double encore.

L..-la-Pingre? Rien? 

Tran ? la bouffe, les soupes variées au mixer, conservées au chaud dans le thermos.

Moi? Je dois passer trois fois dans la semaine pour porter le miam du vieux et lui faire sa toilette. Elle me montrera la station d’un autre (numéro de) bus.

Gogitation et complot en solitude: j’irai à vélo. Bon exercice pour mon dos.

Quel cirque.

J’avais raison d’être énervé ce matin! Les provinciaux s’entassent derrière la boutique. Mon ami Hien a fait la ré-ouverture d’après-Têt, les offrandes traditionnelles, les étudiants-artisans sympathisent et se remettent doucement à l’ouvrage en se racontant “leur” Nouvel-An.

J’aime trop Salomé qui se sent abandonnée mais qui nous fait quand même la fête chaque fois qu’on revient. Elle se sent frustrée de ses promenades, moi aussi. 

Le premier soir, le vieux n’allait vraiment pas bien. J’ai bien cru qu’il y passait et j’ai ouvert mon bec en mélo, deux secondes. Depuis je le ferme. Vraiment faut que je me contrôle : la fermer.

A lui, je ne lui en veux pas …mourir ou pas mourir. Mais quel bastringue. Et encore, cet homme-là bénéficie de son ancienne position au sein l’”appareil d’Etat” et sa tribu a les moyens.

Un de ses frères, pas le sec prétentieux organisateur de funérailles à l’avance, l’autre, le travailleur, il reste silencieux. Ses mains sont brunes, je l’aime bien lui. La vielle soeur reste en background, elle sait qu’elle n’a jamais compté.

La mort me laisse indifférent.

 

8 Fevrier 2…, Samedi

Le tournus fonctionne. Hier soir la “province” se résigne à dire “au revoir”… puisque ce n’est pas encore l’heure de l’adieu. Le vieux les a regardés et il me semble qu’il pensait bien ne plus les rencontrer dans ce monde-ci….au moins. Mais pourquoi me mettre à sa place. Il s’accroche sans trop de conviction.  

 

Allongé à plat-dos depuis trois,….quatre jours, ses poumons s’engluent. Parfois il crache un vilain glaire. Tout le monde se presse alors pour essuyer la gomme arabique, hideuse. On lui tapote la poitrine (surtout le mari de L..-la-Pingre, un spécialiste de l’action cosmétique).

L’aînée des soeurs paraît toujours aussi joyeuse. Th.. s’est même offerte une visite au cimetière pour saluer sa mère-en pot, elle plaisante…la gardienne était confondue par la ressemblance mère-fille  en pointant son doigt vers la photo encadrée de la défunte maman H….

Et l’aînée en a bien ri. Tout ça en travers du lit à l’attention de Tran qui se marre elle aussi. C’est bien. Ah! La gardienne lui a parlé de son cancer-à-elle quand elle a su que Th.. était médecin.

Mon épouse verse la soupe dans le biberon. Son père a un faible pour les “menus” de sa favorite. Facile, elle connaît les vieilles recettes européennes, ici la soupe c’est surtout les Pho & Co….La, Tran cuit une variété de légumes dans un bouillon d’os de porc, de boeuf ou de poulet, elle filtre et passe au mixer et refiltre, ajoutant des herbes.

Mais il réclame son sacré jus d’orange. C’est vrai, quand viendra mon tour, je crois que je me régalerai de jus d’orange ou de grappefruit.

Il était moins bien hier, j’ai failli partager cette riche opinion avec ma compagne, en sortant, à quoi bon, ça ne fait pas avancer le schmilblick! La fermer, bon sang!

Quelle aventure hier soir! Pas loin de chez nous on trouve au moins six lignes de bus. Tran a voulu qu’on en essaie (encore!) une nouvelle. Zou, on se faufile dans un raccourci. On attend. Paff le bus est plein à craquer. On essaie un autre arrêt, un numéro différent, on descend sur l’avenue, elle change d’idée au bord de la route car elle voit l’autobus nous passer ….presque…sous le nez….on revient, elle réfléchit. Case départ.

Finalement en voilà un, on peut s’asseoir ce qui me convient bien, mon dos s’est cruellement réveillé.

En ville on chope un taxi pour le dernier bout. Economie…elle se défend. Bien!

Le vieux s’etait pissé parmi et je lui ai fait son ménage, la bonne semblait me laisser m’activer sans vouloir regarder, tu parles, elle la connaît sa zizounette au pépé. Enfin. “Sauvons la face”! si j’ose m’exprimer ainsi.

Pas bien propre la bistouriquette. D’abord une coiffe de poils  gris, grosse touffe. Au milieu, l’arme du crime pendouillante mais de bonne mesure….à froid!

Allez hop, mes gestes sont devenus quasi professionnels. Sa queue est rose-fade, tachée de noir comme la fameuse panthère! Etonné, pourtant j’en ai vu pas mal.

Tant qu’on y est….lustrage de la myrtille….parfaite, nette et reluisante pareille à un sous neuf. Je l’en informe ce qui visiblement le satisfait. Ca je le comprends bien, un cul sale c’est terrible et puis ça brûle et vous déshonore un ancien combattant.

-          Dis donc, cette balle dans le dos….vous étiez en train de foutr’l’camp?

Il rigole. 

Je suis etonné par la résistance de sa peau…à plat sans bouger. Je lui masse les vertèbres et les hanches.

Mais qu’est-ce qu’on fait là? Combien de temps cette comédie va-t-elle durer? Pourquoi il ne veut plus crever?

Retour à la maison, itinéraire identique….taxi et bus.

Yen est restée seule avec les animaux. A notre arrivée, elle en prend plein la gueule car elle a laisse la lumière partout. Economie. Suis d’accord pour le principe, nous on a été eduqués de cette manière….sauvons l’énergie!

Et puis un merdier au salon et à la cuisine ….bref “unreliable” la pauvresse.

 

Ce matin, ménage, récurage comm’on dit en Chuiche c.à.d. lavage du sol…à cause de Mossieu Maalouf-le-Pisseur et de Monsieur de Poméranie qui a tenté une incursion du côté de la cuisine.

Visite de Hien qui m’annonce tout heureux que la boutique tourne à fond, les touristes s’emmerdent tellement qu’ils passent des heures à photographier nos étudiants-artisans….eux en rajoutent, l’un peint les maisons en plâtre, l’autre, une miniature de la rue Cha Ca, notre nouvelle recrue ponce un livre-bois avant d’y graver et d’y peindre, couleur “or”, le nom de l’essence, en latin, en vietnamien, le dernier monte et démonte des mobiles et des pagoda-coucou-clocks…., la ‘slim” travaille une glaise…sensuellement…avec ses deux pouces!

-          Y’a plus de bougies, plus de nappes brodées, plus rien…j’ai vendu trois tableaux!

Tran est partie tôt pour l’hôpital. Mon ami m’entraine pho Kim Lien.

-          Rien de meilleur pour retrouver la forme et le moral.

Ca tombe assez bien, Tran ayant gentiment repoussé mes tendres avances d’hier soir. C’est vrai que j’avais de la peine à me défaire (de l’image) de la queue du vieux. Je pensais qu’il s’en était servi pour engendrer ma froide dulcinée!

La patronne du salon m’envoie une “ancienne”, à cause de mon dos, Hien lui a expliqué mes misères. La fille doit bien avoir vingt cinq ans. Elle me masse les reins et bouhhh que ça fait du bien….bouhhh!

Et hop, l’endroit de la médaille. En deux minutes …pfuifff, la giclette, pas le temps de bandouiller proprement.

Elle m’entraine sous la douche, me savonne partout et me taille une pipe en se moquant de la flotte qui arrose son T-shirt et sa mini-jupe, paff même pas de capote, la béquille sans bottine! On est mieux servi quand un ami vous recommande!

En partant je lui lache discrètement un extra-cent mille car me voilà remonté à bloc.

Sacré Hien!

On s’arrête pour une bière du jour, Bia Hoi. Deux avec des glaçons, ras bord!

Je lui parle d’une exposition à Paris à La Ruche, Passage Dantzig, quartier Montparnasse. Un bâtiment de trois étages dessiné par Eiffel pour l’Expo Universelle de 1900. Il fut le refuge des artistes de l’époque, le pendant du bateau-lavoir de Montmartre, Chagall, Léger, Soutine, Modigliani et sa compagne Jeanne….Cendrars y séjournèrent….et bien plus tard Archipenko, Idenbaum, Zadkine, Brancusi et Kisling,…même Marie Laurencin….jusqu’au 14 Mai….tu crois qu’on pourrait monter un coup…toi, Hoa, Tran…une petite semaine. Le vieux aura claqué d’ici là! Rêver ne coûte rien. Marie Laurencin!

-          Marie Laurencin?

 

On passe à la politique, la dernière conférence de Bushi-Bushi avec son Baden Powell à la botte. Finie la causette, appuyé sur son coude,....le Président se remue enfin et se tire suivi de son caniche nègre. Personne pour fermer la grosse porte, c’est “Baden-le-scout-black”, lui seul, qui doit s’en charger en revenant sur ses pas. Rigolo!

On rentre à la maison. Tran a piqué les patates que j’avais pelées pour mon lunch-rösti. Quand je pense à l’odeur de la soupe qui recuit le matin alors que je sirote mon café ! Pouah! .

Ah! Tiens, la veille c’est moi qui m’inquiétais…la bonne, elle bouffe quoi, personne ne s’en était soucié jusqu’ici.

Le grand’père murmure :” Elle mange presque rien”.

Salopard…presque rien c’est pas rien!

Comme toujours….sans délai un rapport est fait aux intendantes, l’aînée sort un billet, la campagnarde voudrait refuser, Tran se fâche. La servante s’incline.

Des infirmières sont venues poser une perfusion, pas facile, les veines s’enfuient.

Ou elles sautent main’nant.

Hien m’écoute et sourit.

Téléphone. Elle m’annonce qu’elle reste encore.”Pas de problème on se prépare un petit encas avec Hien”.

Il a compris et débouche une bouteille (un vin chilien).

 

9 Fevrier, 2000, Dimanche

La routine s’installe….du genre “En attendant Godot”…moura-moura pas?

L’autre soir….faux départ de la “province”, les re-voilà, c’coup-ci le vieux croirait presque qu’il les reverra. Je l’ai trouvé tourné sur le côté droit, ronflant. Un mieux?

Le beauf, le mari de la Pingre, fait son numéro en deux actes, le premier: il me tend un rasoir, genre “à main”, jetable…comme si je venais de naître…ah! c’est à moi de le raser? Bon. All right!. Le grand’père n’est visiblement pas chaud pour la cérémonie, alors je dis…”quand y’aura moins de monde autour”. Deuxième acte: ce con se met à huiler les gonds des portes….Sa merdeuse de femme s’extasie devant l’ingéniosité et la prévenance de son homo sapiens. Z’ont reçu des news de leur fils qui travaille aux Emirats. Schlum a renvoyé tous les “blancs”…perspectives de guerre…éviter des risques inutiles. 

S’agit-il donc vraiment d’un combat de races? J’croyais à une guerre de religion.  

 

Pouff! Rire intérieur. Des images d’un vieux Têt alors que ce couple de lèche-cul, madame morale et mossieu chercheur-nuts, habitait encore un modeste appartement du côté de Dien-Bien. Nous étions entassés dans l’unique pièce. La toute petit C.. s’emmerdait et fouillait partout. Soudain elle sort fièrement de sous le lit une pompe-poire lave-sproutz en caoutchouc! 

Dehors à l’entrée, re-meeting, on revoit les shifts….tiens donc, me voici promu à un poste “entier”, full time,…de quatre à neuf , tous les soirs! Bou Diou!

Le rat montre son nez, ses moustaches frissonnent. Patience!

La Pingre compte les sous que le vieux cache dans la poche de son pijama.

Retour à pieds,  on décide de s’arrêter pour croquer un morceau en ville avant de se réduire. Metpub, jazz, pas mal. Un couple d’anglo-saxon, cliché typique de l’admirateur béat de la “culture Nam”.…lui, il zieute bien souvent la jolie perche un peu raide qui les sert avec une défférence obséquieuse…Mini-jupe et blouse largement ouverte sur deux nénés forcément rachitiques. Je repense à Hien et à notre goguette crapuleuse d’hier, au salon. Etait-ce prudent de grimper à l’arrière de sa moto…tararararatata sur mes “petits chiens”….? 

Sa masseuse n’avait pas de slip sous sa jupette.

-          J’aime farfouiller quand elle me suce le bout!

Sacré Hien! Pas l’ombre d’une hypocrisie chez cette homme-là! Bonheur rare d’une amitié sans défaut!

 

La petite cousine C.. nous a suivi, Yen nous rattrappe au pub, elle est à vélo,….avant de s’en retourner chez son père pour le week-end….comme de coutume. Bouffe-Buffet…deux Carlsberg….Happy Hour! La nièce-week-end oublie son cartable au pub, le taxi fait demi-tour.

A la maison Salomé nous fait la fête, Maalouf la tête.

Ce matin ce con a pissé sur mes habits (vengeance?). Je ne m’en suis rendu compte qu’une fois vêtu. Désagréable impression.

Hier soir Yen a enfin retrouvé la clef (du cadenas) du VTT, il ne me restera qu’à faire regonfler les pneus.

 

11 Fevrier 2…,Mardi

Routine? Presque.

J’avais envie de revenir sur le sujet de la balle reçue par le grand’père mais hélas il n’était pas très en forme, j’ai préféré laisser tomber. J’en ai parlé à Hien qui pose un regard plutôt cynique sur l’héroïsme viet et sur sa spontanéité. Puis, comme souvent, nous avons débordé, on est repartis sur les américains et l’image qu’en ont les gens d’ici. Enfin…le Sud et le Nord, en somme : amertume et méfiance.

La guerre? Les guerres en général.

Au-dela d’un conflit, d’une opposition violente, d’opinions ou de croyances opposées. La guerre, se battre, est-ce si mauvais? Après tout c’est un choix. 

 

-          Nos parents auraient pu négocier en 45, l’Autre a pas voulu. Tu te rends compte si on avait eu l’indépendence en même temps que les colonies africaines? Dix, quinze ans de sauvés! Sans oublier les morts….et les bombardements américains! Eh! Les anglais ont quitté la Birmanie en 48. Les hollandais l’Indonésie en 49. La Malaisie gagne son indépendence en 57.

 

Le dos du vieux ne s’arrange pas. Il faudrait une “bouée”, de la crème ou du talc mais aussi horrible que cela puisse paraître…..ce n’est pas mon affaire, trop s’en occupent ou prétendent s’en occuper, alors je m’en tiens à mes massages.

Quelqu’un l’a rasé,…pas le dos…non, les trois poils de son menton.

Le vélo apparaît comme une bonne thérapie à mes dorsalgies.

 

Maison: z’ont coupé les canaux à la télé….c’était un cadeau pour le Têt…tout sans décodeur…une semaine.

Hôpital: une infirmière est venue faire une injection. Franchement je ne me suis pas gèné pour lui zieuter les têtons quand elle se penchait sur le bras de sa victime. Elle portait un soutien-gorge, genre coquille d’oeuf, mais pas assez serré. Petites miches, gros bouts bruns-noirs.

Le “nursing” est une notion inconnue dans cet établissement. Après quelques jours je me suis rendu compte que l’Hôpital des Cadres se divisait en classes…A, B, C…selon le niveau d’assurance ou la position sociale (politique?) du patient. Le grand’père a droit au top. B’en! Ex-sous-ministre!

 

On lui injecte un tas de trucs et ils ont branché un moniteur pour surveiller son coeur…bip,bip….l’écran affiche des courbes et des valeurs. Chaque fois que le bip-bip zozotte le vieux panique.

Etrange on s’amuse à des techniques plutôt modernes en se moquant de l’escarre qui est en train d’apparaître au bas de son dos!

Ce matin devant le perron, ma pipe carburait mal. J’ai préféré reprendre à zéro, nettoyage et rebourrage…pfouf,pfouff…

Pas de pain alors je me rabats sur des “petit-beurre”…que je beurre! Délice. Pas de recette pour les micro-bonheurs.

Salomé!….Evidemment je la traite de Sal…ope….elle a pris l’habitude d’envahir le lit, elle s’étale et ferraille avec ses pattounes. Faudra que je lui re-nettoie son oreille droite qu’elle secoue parfois si brusquement et ça m’énerve, ça m’énerve de penser qu’elle pourrait avoir mal.

Hier! Ah! Finalement on m’a fait des radiographies. Une honte. Un endroit minable, des mecs qui fument dans la salle d’examen. Pas de grille mobile, la cassette sous le dos! Le mec a tiré le mauvais profil et on ne voit pas les espaces intervertébraux où se cachent les disques.

Ultrason! Une plaisanterie, une escroquerie. Pour moi, m’en fiche mais ce qu’ils doivent louper comme diagnostics!

Ma L4 est bien tassée et j’ai l’impression que la vertèbre se déminéralise.

 

Ce matin…le voisin sort de chez lui….pourtant il est à plus de cinquante mètres…punaise son mollard….comme s’il etait arrivé sur mes pieds…et avec le son. L’arraché, le crescendo, lancé libre…chute! Travelling, gros plan.

Plus de cacao pour le jus de Yen…alors je rape un morceau de chocolat brut que Tran garde pour préparer ses cakes. Choc’ et odeur de soupe qui cuit-cuit….à cinq heures du mat’! Spray anti-cafards, douze morts dont des bébés.

J’ai coupé la branche du Têt, en micro-morceaux, et comme chaque année je conserve le “tronc principal et ses trois branches aînées” le coinçant sur le portail de l’entrée avec la conviction que cette fourche pourrait décourager un misérable voleur.

Sur la route une jeep de l’armée me fait une queue de poisson et j’aperçois les faces niaiseuses d’une pétée de mecs à l’intérieur, alors je hausse et secoue la tête et les epaules, signe international d’un mépris seigneurial. Les camarades-soldats rigolent. Je n’ose pas le bras d’honneur. Chacun ses lâchetés.

A l’hostio deux jeunes infirmiers veulent pratiquer leur anglais, moi je n’y tiens pas mais bon….toujours les mêmes questions.

On finit sur Genève. Genève? Inconnue…ah! si….capitale de la Suisse. Et puis?

Ces cons ne savent rien des négociations de 54. Je m’adresse au grand’père, en français: “Pourquoi vous z’avez fait la guerre, ceux-là ne connaissent déjà plus rien de votre histoire….juste cinquante ans!….tout “oublié…ou jamais su”.

Etrange: il me répond: “ J’ai fait la guerre contre ceux qui voulaient faire la guerre”.

Faudra que j’y revienne. Je voudrais lui demander pourquoi l’Autre n’a pas voulu tenter le coup à la Gandhi.

 

Qu’est-ce que je pense des vietnamiens? Rien …sont comme tout le monde, des bons, des moins bons….Ils attendaient que je leur sorte une “qualité spécifique”, une “valeur” typique. Déçus les jeunes soignants.

Yen a un skateboard! Je me souviens, 98?, je lui avais ramené des patins “new style”….sensation…quatre roues-leu-leu.

Hien est apparu tout excité. Une “idée lumineuse”, il chantonne,….du papier mâché, des figurines assez grossières, rondes, il faudra les vernir à cause de l’humidité. C’est génial, frais, un bébé buffle qui dort “en rond”, le museau dans le cul. Un chien “viet”…assis fièrement sur l’aile gauche de son arrière-train, une grosse paysanne accroupies près de ses légumes.

Sacré Hien, l’histoire de la boutique…il se prend au jeu du business…! Le papier mâché, rien de nouveau mais si on y met une touche d’humour, de jolies couleurs et des arrondis….des arrondis pour les z’ao-dai….wouaff!

Faudra créer des couples! Tiens on fera des touristes français avec leur short à la con et leurs baskets! On leur peindra des poils aux jambes!     

 

13 Fevrier 2…, Jeudi

Hier…brusqu’orage. Le vélo n’ayant pas de pare-boue….mes fesses sont  mouillées! Le vent me ralentit. J’ai mal mais j’aime ca. Ma pipe à l’envers. 

 

Le grabataire commence à zozotter, il perd la cohérence de ses phrases…en français en tout cas…Tran me dit que c’est pareil en viet. Elle arrive du bureau.

Ah! elle m’a trouvé un casque de cycliste! J’ai l’air malin!

Et puis elle m’annonce qu’elle pourrait perdre son job, l’antenne du Nord devrait bientôt fermer ses portes...faute de projets solides, le Head Quarter se fatigue aussi de ces longs palabres avec des autorités trop fières, z’ont mieux à faire dans des pays plus coopérants.

C’est drôle mais je le pressentais et la nouvelle ne m’inquiète pas malgré l’incertitude économique qu’elle convoie.

Je suis meilleur dans la merde….d’ailleurs je me souviens de ce “prof” de collège qui s’était soudain levé de sa chaise et, s’adressant à moi sans raison apparente,...sortit une méchanceté totalement  gratuite: “Louis, tu nages dans ta merde!”. Je lui en veux encore et dire que c’est le beau-père du fils des meilleures amis de….passons.

La merde!

Il s’était rassis, nous laissant, mes camarades et moi, perplexes et ébahis.

Maalouf a (re)pissé sur le lit. Et en plus j’avais oublié la grosse couverture sur le perron….la pluie. Elle pèse une tone …toute mouillée, faudra une semaine pour la sécher….avec l’aide du soleil, s’il revient.

 

18 Fevrier 2…, Mardi fin de matinée…cinq jours sans un mot

Hier soir on a installé les moustiquaires. Serait-ce le printemps? Méfions-nous encore (et toujours). J’en suis déjà à mon “trois pièces”: slip, pantalon et chemise…avec sous la main une paire de chaussettes. Bien sûr j’ai l’air de l’imbécile que je suis avec mes bretelles et ma ceinture….Madame N… m’avait fait rire en décrétant que les suisses ont toujours besoin de se rassurer…c’est pourquoi ils portent…bretelles et ceinture! Double assurance!

Bon, mes notes….je me méfie de la mémoire, j’aime mieux mett’tout “au prop’e” avant qu’elle arrange les choses à sa manière bien délicate et vicieuse.

Revenons en arrière…à la veille du 14…la Saint Valentin…un valeureux soldat romain qui crut pouvoir ignorer la règle (interdiction de se marier). Il paraît qu’il trouva moyen de baiser la fille du géôlier avant de se faire zigouiller!

Un Vendredi, un Quatorze…nombre deux fois saint, quatorze! Que de bons souvenirs…quatorze…T+C….passons mon garçon…puisque c’est encore de la veille qu’il s’agit…je sais comme tu aimes le “14”.

Donc la veille….. on m’a demandé de purger le vieil homme. J’ai saisi la canule montée sur un mini-tube de pommade (?) laxative…un oeil prudent sur ce qu’elle était supposée contenir….je lubrifie la pointe et zou…trou du cul où es-tu…il a passé par ici….il s’est enfui par-là…tralalala. Tout l’affaire en pleine rigolade.

Efficace! Une demi-heure plus tard un mignon caca fait son apparition, tranquille…il chenille, la bonne a installé un lange à bébé….pas de risque…

Le pépé n’est pas très à l’aise mais je le rassure en lui expliquant que: ”Putain, c’est tout bon, la mécanique tourne, on engrange, ça progresse et finalement…coucou…youps-la-boum…Prospère…l’ami anal...Il se détend, parle des trous de l’homme avec une sorte de dédain, la balle au bond…héhé la balle dans le cul qui s’enfuyait…hum?! C’est quand même chouette de pouvoir embrasser des dames (là je fais allusion au trou du haut, à la bouche)…Un brin de lubricité, il repique et on se marre franchement, il traduit pour la bonne.

Et puis dans une autre foulée je reviens sur la bière (la liquide…heu….) et il me raconte encore une fois cette histoire de gueuze “rousse” de sa province, je lui explique ma ”bière” brune…noire du Cameroun…”Maggi-tée”, murmurait-on, de sang de buffle…histoire de raviver les couilles des nègres.

Nettoyage des bas-fonds. Franchement. D’ailleurs y’a pas d’autre façon de remettre un cul au net…faut y aller. La bonne me rince les lavettes et me les tend…

Je commence par sa zizounette….je l’ai baptisée “sa Kalachnikof”…il se risque tristement à regretter qu’elle en soit “là”,…lasse.

Bo,bo,bo…je l’interromps….elle a quand même bien servi…ne serait-ce que sur la natte matrimoniale, ne parlons pas des “ailleurs”…hum…j’en sais mais je ne le trahirai pas…paraît que….y’aurait quelques vivantes pièces à conviction, par ci par là?

 

Les collègues de Tran …forte délégation onusienne…comme toujours…des fleurs ou des oranges et puis l’enveloppe, plus tard M..récupère et inscrit la somme dans un carnet. Fluctuat et mergitur…le voilà dans les vapes, un foulard autour de la tête comme dans un “malade imaginaire”. Une amie demande à quoi sert le moniteur qui fait bip-bip….”à rien, juste pour rassurer le vieux” réponds-je.

La Pingre arrive, normalement ce devrait être le tour de son vilain poux de scientifique à la con….paraît qu’il est malade. Ah!

 

J’oubliais: cet après-midi j’ai bu un café avec Dave un ancien patron de Tran, de passage à Ha Noï.

Saint Valentin…Yen vient de partir prendre son bus du matin….cinq heures trente, je finis ma pipe sur le perron, Salomé sur les genoux.

A peine recouché…le téléphone sonne….ça y est..regleugleuleu,…l’âme, l’hystérie est  aussi au rendez-vous. Debout les damnés deu la Terreu….

Tran s’enfuit, blême, tendue….intenable…sourde.

Moi je suis la procédure et je ferme la maison, je pisse, je bois un café, portes, fenêtres closes, j’enferme Salomé et Maalouf. Ciao les bêtes! Salut les poules, sois à la hauteur Monsieur de Poméranie.

Cocorico…qui est-ce qui chante si tôt…c’est le coq qui n’a plus sommeil et qui annonce le réveil.  

Dans ma poche une bible, pas tellement pour prier, je ne sais pas prier en lisant ou en récitant, non mais je pressens des moments, de longues attentes….et je suis curieux de ce qui est arrivé à Etienne (Actes des Apotres, 6 et 7).  

 

Il est là, le mort, sur son lit, déjà en chemise et cravate, à la place du foulard une bande blanche, histoire de lui maintenir la mâchoire close….élémentaire, mon cher.

Un tissu voile son visage. Je viens, le découvre, une petite caresse sur la joue: Ciao!

On attend. Les infirmières ont autre chose à faire. Finalement une vient trier le linge sale et le compter….des fois…

Elle fourre le tout dans un sac en plastique, avec précaution et des gants.

Dans le corridor les nettoyeuses lavent le sol à la Javel.

Ca y est, ça bouge, des officiels de la voierie funéraire, encostumés,…emportent la dépouille. Tran m’entraine vers un bureau où l’on doit nous délivrer le certificat de décès. Acte de naissance et acte de décès.

Exit du monde des vivants! Un bout de papier.

 

Pouff…on me livre à moi-même… soudain inutile, je sors, je marche, je file au Métropole pour un café et trois croissants à la française…un délice. Tiens Petrus...petite causette. Une lurette qu’on s’est pas vu!  

Le reste de ce Vendredi a été plutôt tranquille et paisible. Où a-t-on abandonné le vieux? Sûrement dans un frigo épouvantable de solitude.

Je m’offre un saucisson de Lyon…bien sec et poivré, une bière belge (brune et pas rousse), une baguette….on ripaille….Maalouf d’un côté, Salomé de l’autre…j’en garde pour les poules et Monsieur.

Elle rentre et j’explique que “chez nous” c’est la coutume, faut concasser du bon manioque en l’honneur du mort. Pas de commentaire sur ce que j’ai dû (trop) payer pour ce mini-festin. Elle ne voit rien. 

Faut-il être là pour la “séparation”? Enfin…selon…pour celle de l’âme et du corps…ou alors pour celle de la vie et de la mort. L’avant et l’après.

 

J’apprends que M… a une fille adoptive….”for fan” précise ma compagne. Serait-ce un des fruits furtifs du vieil homme disparu?

Pour le plaisir? Elle des parents ? “…juste un père….mais elle est très attachée à ma soeur”.

La Cinq International, un truc de Arte sur Al Jazira. Je change d’opinion. Avant cette chaîne me paraissait suspecte….elle le reste…mais je crois maintenant que les journalistes vont se pièger eux-mêmes par envie de trop en dire. Un jour ils parleront des Emirats, de l’Arabie saoudite, des dictatures islamistes. L’anti-occidentalisme va finir par les lasser. Petit budget (officiel) …trente millions de dollars.

C.. est venue malgré “tout” chez nous pour son “week-end as ususal”. Chez elle on débarque de province, vaut mieux qu’elle reste ici à l’abri. Yen et elle rigolent bien.

Le portable sonne, Tran répond…plein de trucs à décider, à organiser comm’i’faut! 

 

Je pense à mes habits pour demain. Repassage.

On a fermé la boutique, Hien et nos étudiants-artisans paraissent sincèrement desolés. Ils aimaient bien ce vieux .

Cérémonie dans un faux temple en centre ville. De la boutique on s’y rend à pieds.

D’abord la mise en bière…aie…quelques petits youyous…On est sur l’aile droite du bâtiment principal, sorte de pagode marxiste, l’à-côté ressemble à un débarras de boucherie. De temps en temps un gros moteur se met en route (air conditionné du réfrigérateur à cadavres, je présume, re-élémentaire, Mon Cher). C’est le beauf, le mari de M.., qui dirige la manoeuvre.

Pas trop long….la famille uniquement, la “province” apparaît, simple, digne. Manque une soeur qui s’est faite mordre par un chien. Baouf, elle n’a jamais existé pour personne.

La petite foule se dilue. Taxi….on récupère Yen et on s’envoie des pâtes dans un resto, en face de l’Opéra. Ping!…Dave nous tombe dessus, par hasard avec une collègue de Tran. J’suis certain qu’i voudrait la baiser, cette nana.

13 heures 30  …retour au faux-temple…cette fois-ci on passe en vedette…au Centre…et on m’encostume. Un “bandana”….blanc autour du crâne avec une ficelle amidonnée en arc par-dessus….attention faut le plier le bandana…pas faire un noeud…et puis une chasuble en “gaze-blanche-aussi”. Je dois déchirer l’encolure pour passer ma tête. Le beauf a droit à un bâton…hé…c’est lui le guide main’nant!

Interminable cérémonie, ponctuée par les sonneries des téléphones portables, un peu tous les airs, tululu…lulu.lulu…lettre à Elise…, par l’orchestre  traditionnel ad-hoc et in corpore…trompette-flûte, mini-gaffophone, cymbale (?…pas sûr), tambour-tam-tam. Les mecs sont assis à une table dans un coin de l’immense pièce. Thé, ils fument entre deux “tournées” de zi-zi-poum-poum pleurnichard. Là je regrette de ne pas avoir épousé une mexicaine….je ferme une seconde les yeux et j’entends les “mariachi”….

Le cercueil est évidemment au milieu. Fermé, un minuscule “écran” (fenêtre) pour zieuter le mort au passage.

Un annonceur scande le nom de la délégation….un employé des pompes (uniforme toujours sale) dépose la couronne ci-référante, un coup à droite, un coup à gauche, son collègue les évacue à mesure, …Cong Ty….Gia Dinh…., le leader s’incline, dépose une tige d’encens, tululutululu,…recule en ligne avec ses suivants….dépose l’enveloppe sur une table-à-cet-effet-merci, on passe autour du cercueil , zi-zi-poum-poum, zoupe un oeil…oui y’a bien un mort dans la caisse….,..des fois on s’arrête devant le beauf’-guide-qui-fume, la sèche en cachette dans le dos, ou alors on sert la main de quelqu’un de la famille,….une main sur l’épaule, lettre à Elise. On se touche rarement dans ce pays. Enfin je me comprends.

Youyou des “filles” orphelines.

Je me tiens en deuxième ligne, les grands derrière

Suivant!  

 

Une fournée de  vieux en tous genres. Pas de doute…ils se demandent “who is next?”. Certains repassent plusieurs fois …sous diverses “étiquettes”….anciens combattants, membres du parti, blessés de guerre, héros, employés d’un ministère,….même des blancs qui prennent un air de circonstances. La femme de l’un deux, émue, embrasse Tran. On les sent impressionnés par l’atmosphère et par nos déguisments. La Pingre a pris vingt ans, le visage boursouflé, elle hoquête.

La belle famille de Tran, l’”ex”, pardon, défile. Un vague sourire sur mes lèvres en apercevant l’ancien “monteur” de mon épouse, le “premier lit”. . 

Pendant tout ce temps un photographe tire ses clichés…parfois il nous demande de serrer les rangs….C. tient bien…elle a mal au dos comme son père…le beauf-leader-et-son-bâton-en-faillite. Moi aussi. Parfois un membre de la famille se tire à l’écart pour répondre à un coup de fil.

Je fais un calcul…comme toujours…pour passer le temps…à une moyenne de cinq personnes par délégation….trois délégations…la minute…fois…deux heures, combien,…heu ?…. mille huit cent personnes….et trois cent soixante enveloppes.

A la fin un gars apporte un gros plat de riz, un poulet planté au milieu, tête dressé, normalement chaque père d’ “in law” devrait en faire autant…mais y’a plus qu’un père “in law” vivant…alors…qu’un poulet. C’est une bête majestueuse  qui regarde droit devant…toute nue, toute cuite. Veinard, Mon Cher Monsieur de Poméranie!

A la fin de la fin…un envoyé du Ministère du Commerce vient prononcer l’éloge du mort…. Je comprends les années et …soudain Savanakhet…probablement la où il a reçu sa balle dans le dos….mystère…que faisait le vietminh dans ce coin- là…à batailler contre des laotiens….certainement partisans du Prince Souvanna Phouma. La balle n’était pas française mais laotienne. Bon sang! Elle vaut quand même. Hors des frontières, le rêve d’un Grand Vietnam?

Le beauf-leader et son bâton perdent peu à peu le contrôle des événements. La Pingre se fait mauvaise pour ramener notre timonier à sa barre…timonier! …boudiou!

 

Je chantonne pour moi: “Le vigneron monte à-à sa vign’, vign’, Vigneron….”

On sort. Le bus-corbillard….la place pour le mort au milieu (dans sa boîte vitrée) et nous autres de chaque côté.

Mais avant tout il faut marcher quelques mètres comme si on allait faire le trajet à pinces. Là bien sûr…je songe, en souriant, à ce bouquin de Vian…Y’a ressemblance, franchement. Zou c’est assez..de singerie…on grimpe dans le corbillard. Un dernier miaulement de trompinette.

Punaise…pas de marge pour mes jambes. Heureusement la fille adoptive-pour-fan (je m’interroge toujours à son sujet) me cède gentiment place et je me tiens main’nant au bout (près de la sortie). On balance des cubes de papier, genre sucre en morceau,… par la fenêtre (plus tard j’en ouvrirais un…vide…de la frime). 

 

Le peloton-corbillard de tête est suivi de deux autocars pour le reste de la famille, la “province” et un cocktail d’in law, quelques véhicules privés et un taxi qui fait voiture-balai. On zigue et zaguent dans les “Trente-six rues”….pour passer une dernière fois devant chez lui (notre boutique!). Un grand poster est affiché sur la vitrine…heure de sa mort, heure de la cérémonie,….classique. Hien se tient dans un coin et me fait un petit signe. Il se fout de moi..ouaie!

On descend vers le lac….ce lac où tous les anciens hanoïens aiment à se promener, à jouer aux “échecs”, à faire la gym du matin. On croise des touristes tout heureux d’attrapper au vol une manifestation d’authentique folklore local. Je ne résiste pas: “Coucou de la main” lorsqu’ils tirent leur photo…ah! la gueule du mec en apercevant “li blanc dans li boîte à mort qui roule”!

La tirée jusqu’au crématoire-cimetière reste longue mais distrayante…comme toujours.

Yen et son cousin s’amusent à rallumer les cierges collés sur le cercueil. Finalement la môme se tient bien, sobre et discrète. Les quatre soeurs plaisantent en travers du mort. La nervosité n’excuse pas tout. Oui, M’sieur l’Juge!

On a bien tourniqué en ville, tous les coins où il aimait se balader….tous?

Banlieue.

Nous y voici….dernier acte…enfin…je croyais…

On débarque la caisse et on entre dans une salle assez nulle et dégueulasse.

Un officiant, du genre fonctionnaire,…guide la manoeuvre…le beauf-leader-en-faillite et son bâton ont laché prise, le mari de la Pingre en profite pour prendre le commandement. On a placé nos cornets plastiques dans un coin (des offrandes, semble-t-il, pour un dieu installé sur un autel entre deux salles de cérémonie-cuisson).

A mon avis c’est pas “un” Bouddha alors je refuse de m’incliner devant cet usurpateur. Bouddha…ça roule…Bon..tout le monde est recasé dans la salle, l’officier s’impatiente…zizique enregistrée…lourde, épaisse et railleuse…il cause…. ultime virée autour du cercueil, dernier coup d’oeil, re-ciao vieux grand’père…t’avais si peur que tes potes t’aient oublié…t’as vu,…non of course,...tu vois plus rien…un paquet…selon moi…au moins quatre mille personnes sont venues te saluer au faux temple, en ville. Ici…bon, c’est le carré des braves, quelques amis, la famille. La distance, pouvait pas tous venir. On a glissé l’éloge funèbre (deux pages dactylographiée) par la petite fenêtre…tu l’emportes avec toi…avec ta balle dans le cul. Allez Ciao! ..

Le brûleur-en-chef récite un texte en vérifiant bien le nom du mort…des fois..avec la routine et le rythme infernal des cérémonies.

Ca y est…youyou mais moins corsé que pour la grand’mère en 1996. Télé…l’écran noir-blanc nous montre la vilaine porte. J’oublie Vian et j’imagine les “camps”….la porte s’ouvre, flammes, un bras mecanique saisit le caisson et l’enfourne…Clic…Miam-miam. Le show is over. Nous rendra-t-on les bonnes cendres….

Demain murmure Tran  

 

Demain?…demain on remet la dose? Ah! oui..la célébration du “troisième jour”, me tromperais-je de religion?     

On enlève enfin nos costumes blanc…pour s’en tenir désormais à un brassard noir…élégant.

Et le retour? Rien n’est prévu, le corbillard a disparu, on se tasse donc dans les deux bus des familles & Co. Pas le moindre coucou à la grand’mère qui attend son homme…dans sa niche. Je m’étonne…Tran me rabroue. Dans son coin la bonne pleure. Personne ne l’a invitée “comme membre de la famille”. On se sert encore d’elle, pour ramasser un sac, pour chercher un truc. Je pense que cette femme a partagé sa chambre, nuit et jour durant trois ans!

En ville, on nous libère devant le faux temple où déjà une autre famille règle ses comptes. Un groupe fait la queue sur l’aile-boucherie. Et puis au Centre…le tour d’un VIP, punaise ça bouchonne.

 

Maison…humidité  terrible, surtout depuis que j’ai repeint les murs avec cette solution plastifiée. Dégouline de partout. Le sol glisse.

Les animaux manifestent leur joie…..mais ils ont pissé partout pour se venger!

On a bien dormi et la petite troupe-troupe-la-la-la s’est remise en piste après un copieux petit-déjeuner. Sans mon café je ne vaux rien. Avec?

Voiture de location. Elle décide de demander au chauffeur de passer par les nouvelles banlieues, là je découvre une ville nouvelle et inconnue. La famille est  arrivée avant nous.

Ca discute au bureau du cimetière, des papiers, des choses à payer, finalement voilà l’urne….leu-leu-leu…jusqu’à sa niche à côté de la grand-mère qui s’impatiente. Le mari de la Pingre fait le ménage sur un escabot. Le petit frère du vieux, l’oncle aux gros doigts, pousse doucement la petite jarre dans son coin. Offrandes, tout un baratin et chacun se dispute pour savoir si le riz doit se mettre à gauche ou à droite. Petite bouteille de vodka.

Fausses monnaies. On attend, on brûle l’argent.

Jolis nénuphars dans un étang.

Finito….

Tout le monde se retrouve à la boutique transformée en salle à manger….à même le sol, on croque. Sympa. La parentée de la défunte grand’mère surtout, des gens bien et pas prétentieux. Une soeur, un actrice, genre Alice Sapritch qui veut se faire moinesse pour ses vieux jours. Un autre cousin, acteur…lui aussi mais confiné dans les rôles de flic pourri à cause de sa tronche. Pourtant il a l’air gentil. Les chatons se faufilent pour piquer de la bouffe en douce.

Paraît que ce soir on aura un ultime repas…rien que les soeurs et les beaufs…

Merde!

 

Et pourquoi s’est-elle offerte pour trouver ce resto? Le service est minable, les plats médiocres. En surface la conversation semble joyeuse et pourtant, les soeurs mettent les pendules à l’heure, le naturel prend le dessus. Il se confirme que le jeudi soir le beauf-chercheur, mari de la Pingre, n’était pas malade mais sa femme voulait rassurer son père sur cet argent qu’il lui avait confié…vingt sept millions (Sfrs 2500). Ensuite l’aînée refuse qu’on lui laisse les sous…à celle-là…tout doit se retrouver dans les mains de ma femme, le magot servira petit à petit pour les funérailles à venir…surtout pour la “province” qui est bien vieille. Et puis on bascule dans le passé collectif, l’appartement que la Pingre a soufflé aux autres frangines…, là où C…jouait avec la pompe-à-spermes-en-caoutchouc, le refus de cette même salope de prèter un peu d’argent à sa soeur M.. quand celle-ci se trouvait au bord du gouffre, que dis-je …dans le gouffre. Encore: lorsque Tran se séparait de son “ex” et cherchait un refuge provisoire…la Pingre a redit : non! Question de morale!

Pourtant, pour moi qui ne comprends rien, tout semble cordial, fraternel.

Les beaufs la ferment! J’en suis!

On revient sur l’album-souvenir (délivré en temps record par le photographe). Bataille pour l’annonce à publier dans les journaux….quels noms mentionner?

Terminé…on rentre…enfin….

 

Ce matin les habitudes reprennent le dessus. Tran a filé au bureau pour travailler un peu. Lire ses mails. En plus elle se bat pour qu’on obtienne une réduction sur nos billets Air France. Ouaie…on va malgré tout s’en aller en Europe.

Pour Genève faudrait un visa France….pas envie de s’emmerder avec l’Ambassade on passera donc par Zurich.

Plus tard Yen  s’est levée en faisant un boucan terrible…où sont les résistants d’autrefois?  Ces pas de velours dans les sombres maquis.

Paraît que je suis pâle, c’est ce qu’auraient remarqué Dave et la collègue de Tran, l’autre jour avant d’aller tirer leur coup furtivement.

Donc pas de problème pour qu’elle prenne finalement ses congés.

Chacun, semble-t-il, considère que je me suis honorablement conduit durant la semaine qui a précédé la mort du vieux, on trouve aussi “bien”, pas plus, que j’ai joué correctement le jeu des funérailles (heureusement y’avait pas de vidéo…là j’aurais craqué).

Sur mon perron, ce matin. Je n’ai rien d’un aventurier, même avec cinquante pays dans mon sac à dos. Curieux…oui, chanceux d’avoir pu, en bonnes conditions, découvrir des coins cachés aux touristes ou aux gens de passage.

La chaloupe de mes pensées dérive.

Pourtant la question demeure: pourquoi ai-je un jour franchi le pas?

Marieke me revient en mémoire. Etait-elle, est-elle rousse ou me suis-je fait un cinéma? Mais c’est une autre histoire. Non, en-bas elle était rousse, presque “chauve” comme moi sous les bras.

J’ai mis de l’ordre dans ma vieille veste et j’ai trouvé ces ampoules de morphine que j’ai piqué à l’hôpital dans l’armoire “urgence”. Ils ne découvriront rien avant longtemps. Rigolo quand j’y pense…la semaine dernière je rentre dans la chambre du grand’père….disparu mon grabataire, z’en avaient mis un autre, pas mieux, je sursaute en imaginant le pire….réflexe étonnant, mon couteau suisse,  

 

lame, décapsuleur avec tournevis….ça marche, l’armoire ne résiste que pour la forme….le nouveau-venu roupille. Ni vi, ni connu.

Mon beau-père avait été transferré à l’étage, pourquoi?  Ah! Ça?

Cinq ampoules….pour une autre aventure, on verra comme elle se présente.

Hien débarque…changement de sujet! 

 

24 fervier, 2…, Lundi

Des fois on a tout de travers. Mon oreille droite…otite?

Hier soir, Tran pleure, elle s’ennuie de son papa.

-          Il est bien près de ta mère…non?

Comment savoir ce à quoi elle croit. Il me semble qu’elle doute de cette vie future. Etrange d’imaginer, une jeune veuve….vieillir…et bien plus tard s’en aller rejoindre un gringalet au paradis. Ou l’inverse, ou une soeur morte à la naissance qui retrouverait une fratrie octogénaire! Un fils devenu grand-père et qui  croiserait son gringalet de géniteur mort au combat le matin de sa trentaine!

Alors ma théorie…mais je m’abstiens de la développer en ce moment….on disparaît, on redevient cendres et poussières, on cesse de penser en forme individuelle. Evidemment dans  ce cas y’a peu de place pour la sentimentalité.

C’est d’ailleurs un des points qui me turlupine le plus. L’évolution des êtres qui peuplent notre terre, pourquoi le genre humain a-t-il basculé (partiellement ou par à-coups) dans  cette sentimentalité. Qu’est-ce qui est à l’origine de notre besoin d’amour (très variable selon les uns et les autres)? Est-ce encore un phénomène naturel ou avons-nous devié…comme par exemple un gars qui rêve de se faire un travesti ou une étudiante en kilt dans le bus “24”?

Bref je me pose la question: de quoi est faite sa tristesse?  

 

25 Fevrier 2…, mardi  

Ca y est on a les billets. Tant pis on n’ira pas en Tchéquie, pas en France… on verra plus tard pour le business. Juste en Suisse. Se reposer. Voir la neige.

J’ai re-descendu la grosse plante du salon….pour qu’elle ne meurt pas de soif. J’ai installé mon système d’arrosage progressif….naïf mais efficace…de grosses bouteilles d’eau en plastique, le bouchon légèrement devissé….goutte à goutte. 

 

Salomé ira chez le grand-pere de Yen. Hien viendra de temps en temps à la maison surtout pour Maalouf et les poules.

On manquera l’exposition de La Ruche (passage Dantzig)… dommage.

Les valises sont dans la baignoire pour qu’on…(je)… les dépoussière.

N’ai-je rien oublié?

 

 

L.T./01/02/07.03  

 

P.S.2: La vie de M.Hoang Hoa Tham est certainement interessante, elle a ete le sujet de plusieurs livres et de films. Mais bon, ici trouver des informations objectives sur un "heros", autant oublier.

 

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Nhom_De_Tham

 

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