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Au gré de la plume
23 janvier 2019

Momoh/8

                                                     " Je L'Ay Emprins" (Je l'ai tenté)                      

 

Guillaume  van den Boogart n’est ni un  chevalier ni un mercenaire, pas plus un piéton recruté de force en Flandre ou dans une des « provinces » du Grand Duché d’Occident. Il s’est porté volontaire. Un an, attaché à l’intendance. De Dijon, il escorte le ravitaillement des garnissons du Charolais et de Franche-Comté. Jusqu’ici il ne porte pas d’arme bien qu’il s’entraîne au combat, le soir, avec de bouillants écuyers. Ce bachelier a le sang chaud mais il sait attendre l’heur en observant sa bonne étoile, la Constellation du Grand Chien. Il a choisi Sirius car c’est elle la plus lumineuse. Ses nuits d’insomnie il imagine de féroces combats. Le capitaine van Lierde a vite repéré cette « force d’âme ». Le jeune homme est impétueux mais il sait lire, écrire et entend quatre langues ce qui n’est pas de trop dans l’armée du Téméraire où l’on côtoie des Anglais , des Flamands, des Bourguignons, des Italiens, des Savoyards et des Souabes. Sans oublier des Francs-comtois, des Charolais, des gens d’Artois, quelques piqueurs du Brabant, des traîtres de Lorraine ou des opportunistes liégeois. Là il est heureux, le Duc se prépare à la guerre ! Son père a tenté de lui apprendre son métier de marchand. Anne aurait préféré qu’il s’intéresse à la peinture et qu’il s’illustre à la Cour des Grands. Las des incessantes querelles qui l’opposent à ses parents, le tumultueux garçon a choisi le métier des armes. Il n’aura jamais la patience d’un guildien. Acheter et vendre du fourbi lui paraissent une occupation humiliante. Et puis quand « son » Duc est venu à Bruges, Guillaume a été fasciné par ce cortège d’hommes en armes, ces palefrois, ces chevaliers puissamment atiriés (attirail). 

 

 

 Plutôt que de contrer son héritier, Momoh a choisi, comme souvent, la résignation. Si son « fils » n’est qu’un vassal des Bourguignons au patronyme bourgeois, il a du sang bleu qui gonfle ses veines.

Guillaume ne doute pas de son Ponant, il croit que celui-ci saura reconnaître son mérite quand enfin il pourra se battre. Grand’mère Berthe a longtemps pleuré se souvenant d’un frère disparu, mort sur le champ d’une bataille oubliée.  Elle avait juré que jamais son Momoh ne serait soldat. Mais là, elle n’a pas pu distraire son petit-fils, chaque famille porte sa croix ainsi que Jésus escaladant  la Butte au Crâne. 

 

 

En Ardennes, Momoh lui a choisi la plus charpentée des juments, en y mettant le prix, il a surveillé le maréchal, le ferronnier et le sellier pendant qu’ils harnachaient la farouche monture. Oubliant ses origines aristocratiques, sa mère a cousu elle-même la tunique de l’intrépide cavalier. Dans l’ourlet elle a caché un talisman que lui a trouvé Radegonde. Comme Claire, comme Berthe, elle pressent le pire. Dès que Guillaume s’est enfui, Anne maudit son époux de ne pas avoir su le retenir bien qu’elle sache qu’il n’y peut rien.     

   A Dijon Van Lierde a suivi l’apprentissage du bachelier, il l’a forgé à la discipline. Ce capitaine est un vieux routier. Il a servi le Travailleur alors que celui-ci n’était « que » Comte de Charolais. Charles le Travailleur n’est pas un diplomate mais son sens de l’organisation vaut l’intelligence de son géniteur. Et pour guerroyer il faut prévoir. Lancer en campagne douze mille hommes nécessite la mise en place d’une logistique impressionnante. La troupe se déplace avec d’encombrants bagages. D’abord les tentes des officiers, celles plus modestes des piétons, les cantines ambulantes, le bordel, l’infirmerie, les canons que les artilleurs ont démontés et chargés sur des camions aux essieux renforcés. Enfin il faut trouver de quoi nourrir cette immense troupe en migration, et si possible éviter de piller les villages qu’on traverse puisqu’ils sont supposés alliés. Plus loin, plus proche de l’ennemi, les fourriers voleront ce qu’ils trouveront. Au mieux et sans garanti de restor, le fourrier signera une lettre de carnaticum qu’on ne pourra faire valoir qu’en cas de victoire. Guillaume et sa légère escouade filent en éclaireurs, négocient avec les villageois. Le commando revient sur ses pas, transmet les informations à l’intendance. On envoie de robustes piétons qui s’emparent des bêtes et du grain disponible. Des patrouilles l’accompagnent, son travail est simple mais dangereux, le jeune officier doit, jour après jour, sécuriser le ravitaillement de la prochaine étape et se tenir ainsi aux avant-postes. Comment mobiliser douze mille hommes à l’insu des espions ennemis ?

 

Sous le chapiteau du Grand Duc l’état-major étudie les cartes. Chatel-Guyin, Jacques de Savoie, Roland de Namur, Victor de Chastellain et deux ou trois  stratèges expliquent à Charles la topographie des lieux. Le Téméraire manifeste son impatience. Il compte sur sa légende de Conquérant, sur la rumeur de ses victoires. Le Lion rugit. Le Comte Romont abonde, jure avec mépris que les Fédérés ne sont qu’une bande de combattants hétéroclites dépourvue de réelle cohésion.

-    Ils se querellent depuis toujours. Nous les amortirons en une journée.

-    Les Suisses ont l’habitude de ces pentes, voilà deux ans qu’ils y font des incursions, il vaut mieux les affronter en plaine dégagée.

-    Suffit ! A vous entendre je pourrais croire que ces bouseux vous terrorisent ! Jacques a raison, inutile d’attendre qu’ils reçoivent des renforts.

-    Mon Duc, ces Suisses sont sur leur terre,…

-    Assez !

Au second rang van Lierde s’inquiète, l’armée traîne un paresseux cortège, en cas de repli précipité on risque une panique. Le montage des canons prendra aussi son temps. Avec la neige qui commence à fondre il deviendra difficile de les déplacer aussi rapidement que le Téméraire le pense.

Durant l’interminable veillée, les officiers casent les retardataires. Un colonel vient d’annoncer l’arrivée d’un bataillon « italien » conduit par son condottiere. Il va falloir loger au sec ces archers, et les nourrir ! Le Duc surgit, suivi de Chastellain, les officiers se dressent au garde-à-vous.

-    Bien, six piquets au nord, là, du coté de Neuchâtel, trois sur le flanc ouest en alerte, et demain aussi tôt que possible deux patrouilles s’engageront vers Grandson, une pour attiser la résistance de la garnison ennemie, la suivante pour fixer notre prochain campement. Emportez de la paille, soignez les chevaux et parez le nécessaire, que mes piétons dorment au sec.       

Le capitaine van Lierde et Guillaume sont de corvée.

-    Demain je t’accompagne, Dubuisson enverra ses espions vers la forteresse, on s’occupera de localiser l’emplacement du bivouac. Nous ne devrions pas craindre de méchantes embuscades sur le flanc ouest, tout juste quelques unités de guérilla qui éprouvent les avant-gardes du Romont, de bonne guerre. Tu sais, ce sont des rustres mais ils ferraillent près de leur tanière, ils sont à l’aise sur ces vallons, ces « bouseux », comme dit notre Lion, ont l’habitude de patauger dans la gadoue, le climat leur convient et s’ils arrivent à temps, ils n’auront que dix lieues dans les mollets. Demain tu t’équipes, possible qu’on ferraille nous aussi! Spallière et saladier. Et brosse ta jument !  

Guillaume ne trouve pas le temps de dormir. Selon la tournure de l’engagement, Van Lierde l’entraînera au front. Encore une fois, la tournée des popotes, il plaisante en italien avec les arquebusiers piémontais, en anglais avec les artilleurs yorkais. Personne ne lui fait remarque de son age. Il a mûri, un épais duvet couvre ses joues.

-    Alors ?

-    Rien à signaler mon capitaine.

-    Tiens tâte un peu de cette gourde.   

 

 

Grandson n'est qu'un modeste bourg sur la pointe sud-ouest du lac de Neuchâtel mais c'est aussi un verrou. L'arrière-garde de l’armée bourguignonne vient de franchir le Jura et descend sur la plaine à marche forcée. Quelle éprouvante tirée depuis Besançon! Au passage le Duc s’est approprié le trésor d’Auxonne, de quoi rassurer les Italiens et les Anglais inquiets pour leur solde. Le col de Jougne, douze mille hommes ! Et surtout ce cortège invraisemblable, deux cents chariots alourdis. Le Téméraire choisit d'épargner Neuchâtel. Ses éclaireurs ont découvert des barricades à l’étroit passage de Colombier, le Duc connaît l’histoire de Morgarten. D’abord il veut réduire Grandson avant de pousser vers l’est, sur Fribourg et finalement assiéger Berne, la place forte des Helvètes. Berne prise et c’en est fini de la Haute-Union ! Yverdon n'a pas les moyens de se défendre. Là il renforce ses arrières et ses ailes faisant dresser des obstacles renforcés où il poste trois brigades de fantassins.

Un an auparavant il ne réclamait que la restitution du Pays de Vaud qui appartient à Jacques, son allié savoyard, aujourd'hui il entend s’approprier l’Helvétie. Elle est là tout entière son armée, le  28 février 1476, en plein devant la place de Grandson. Ses alliés l'ont rejoint, huit mille hommes supplémentaires, des Savoyards, des archers valdotains, des Franc-comtois et les milices revanchardes du Comte de Romont.  

 

 

Le Duc lance plusieurs assauts contre les remparts de la forteresse. Dressées sur le boulevard, ses machines catapultent des pièces de rocher. Les canons tentent de démolir la muraille et la tête de pont.

Les défenseurs tremblent sous le tonnerre des bombardes. Le doute les envahit. Les secours attendus tardent encore. Les sachant ébranlés, Charles propose une honorable reddition. Un négociateur convainc les résistants, leur promettant la clémence du Puissant Duc d'Occident! Une fois la place rendue, la centaine d’assiégés bernois est égorgée sans pitié, les fuyards sont noyés. 

 

 

Sur le plateau de Champagne, Guillaume et van Lierde ont supervisé l’installation des chapiteaux, celui du Téméraire d’abord, ensuite ceux du Comte de Romont, de Chastellain, des dignitaires de haut rang et enfin la chapelle où priera bientôt le « vainqueur ». En attendant les aumôniers disent une messe en plein air. Des ouvriers dressent maintenant les tentes plus modestes où loge la piétaille. Les soldats impatients étendent la paille et y jettent leur bât. Reste encore à mettre en place la cantine, l’infirmerie, l’arsenal, le bordeau de campagne, à sécuriser les magasins, à protéger les écuries, à monter la forge du maréchal, à lancer le foyer des ferronniers et celui des cuisiniers,…Du campement les deux officiers aperçoivent un des leurs qui accroche au pinacle du château la bannière de leur prince. Grandson est tombé ! Hourrah !

              

A Lucerne, les Suisses ont mis un terme à leurs disputes. On y va ou pas ? Heureusement les troupes sont restées en alerte aux environs de Berne, les bataillons se mobilisent. Enfin ils arrivent, longent la cote orientale du lac mais il est trop tard pour secourir la garnison du château. Vingt mille Bernois, Uranes, Lucernaires, soldats de Schwitz et d'Unterwald. Certains ont avalé trente lieues en deux jours et une nuit. Leurs puissantes lances entassées sur des chars à bœuf, ils marchent en chantant que Dieu les guide. Contrairement aux Bourguignons, ils ne traînent presque rien avec eux, de l’eau, un pain, le reste leur est offert par les villageois. La troupe ne se repose que quelques minutes toutes les deux lieues. Les Suisses sont de rudes montagnards. Parfois des cavaliers les dépassent en remuant la poussière, eux aussi sont légers, les armures suivent. Des féroces ! Ils ont appris la manœuvre de Charles et la liquidation dramatique de la centurie postée au château de Grandson. Les voilà décidés à vaincre ou mourir ! Au départ ils venaient protéger leurs frontières, après tout le Pays de Vaud n’appartient pas à l’Union, ces cul-terreux parlent une langue exotique, certains se battent pour Romont. Maintenant c’est une affaire d’indépendance, ils savent que l’autonomie de leurs Cantons est en péril. 

L’armée contourne Yverdon évitant les défenses du Bourguignon, avant de remonter sur le camp ennemi.  

 

 

Le premier mars, entouré de ses capitaines, le Duc de Bourgogne tient un dernier conseil:

-    Attirons les en plaine, la cavalerie les taillera en pièce !

-    Charles, ne devrions-nous pas assurer notre flanc ouest, ces renards pourraient attaquer par surprise, ose suggérer le prince de Tarente ?

-    Le Jura ? Fribourg est à l’est, Berne au Nord !

-    Ils pourraient infiltrer une escouade par Fleurier.     

-    Nos éclaireurs disent que le gros des Suisses est encore à plus de cinq lieues, prenons l’initiative, je ne suis pas homme à attendre ces rustres !

Le Duc de Clèves risque une intervention, son chef l’interrompt.

-    Assez ! Nous tenons Sainte-Croix et le flanc ouest. Je prendrai les Suisses de face, en bataille rangée.

 

Deux garnisons furent placées en amont, du coté de Vaumarcus protégeant ainsi le corps expéditionnaire d'une attaque venant de Neuchâtel. Une troisième, plus modeste, occupe le coteau, aux pieds du Jura. Avec ce mélange de neige et de boue personne ne semble craindre une offensive majeure, lancée par les  bois du Chasseron. Le bâtard de Bourgogne n'a qu'une vague idée du relief des Pays de Vaud, Neuchâtel et Fribourg. Le Prince se fie à des cartes qui ne dessinent que des contours. Il envoie des piétons à Vaumarcus et un léger détachement sur les collines qui dominent le lac. Ces éclaireurs se tordent les pieds sur un chemin de rocailles, début mars, la neige commence à fondre. Durant cette première journée, ce ne fut que combats de guérilla et brefs accrochages. Les rescapés de Grandson se cachent dans les forêts de Villars-Burquin, au nord-ouest du camp ennemi, ils espèrent toujours les renforts promis, la pointe des fédérés tarde pourtant à se montrer. Finalement une première compagnie bernoise les rejoint après avoir réduit l’avant-poste ennemi à Vaumarcus.

Le lendemain les deux armées sont face à face sur cette étendue de Champagne, en pleine boue, un quart de lieue les sépare encore. Logiquement les capitaines se préparent à une bataille « classique » où les stratèges jettent leurs forces au moment opportun. Attentifs, les deux belligérants retiennent leur cavalerie sur leurs ailes, selon l'art du "flanc-garde". Au centre, des deux parts, les carrés d'infanterie prennent position, piquiers en première ligne. Pour le Bourguignon, c'est Sire de Chatel-Guyin qui mène l'opération. L'avoyer Scharnchal conduit la manœuvre pour les Suisses. Un aumônier se met à genoux :

« L’obscurité couvre la terre,

La nuit enveloppe les peuples.

Mais toi le Seigneur t’éclaire

Comme le soleil levant.

Au-dessus de toi apparaît

Sa présence lumineuse.

Alors les peuples marcheront

Vers la lumière dont tu rayonnes… »

 

Prière achevée, Scharnchal ordonne qu’on forme les « hérissons ». Dix-huit pieds (5,40 mètres) ces putains de lances! Quatre de moins pour celles des Bourguignons! Au front la piétaille s'impatiente. Le terrain pentu et torturé est favorable aux Suisses, il handicape les chevaux et ralentit la manœuvre des canonniers adverses.

C’est enfin la charge ! Alarme, Alarme ! Le bruit est assourdissant. Les Fédérés sont superstitieux, surtout les « Primitifs » qui hurlent sauvagement appelant Dieu à leur aide. Les Bourguignons débordent de confiance, leurs canons sont en place, les archers bandent leurs armes. L’écuyer du Téméraire lâche la bride de Moreau, la monture de son maître. Le Prince harangue ces hommes. L’attaque est lancée. Le terrain n’est pas aussi plain qu’il parait.   

 

 

- Attirons les plus bas, Mon Duc, notre cavalerie les taillera en pièce.

Mal à l'aise sur ces rampes glissantes les chevaliers du prince reculent. Impossible d'atteindre le gros des Suisses et d’engager un corps à corps !

Tandis que le Téméraire ordonne un repli stratégique pour attirer et piéger l’ennemi sur un plateau favorable, voilà qu'à l’ouest, Uranes, Lucernaires et Unterwaldiens déboulent d'une pente boisée qu'on croyait pourtant défendue. Les Walstatten sonnent du cor des alpes, on gueule en frappant gourdins et lames sur des boucliers décorés de vaches et de taureaux !

-    "Grandson, Grandson". Sonnez les cloches, sonnez ! Enculons les Occidentaux.

Eux ne trébuchent pas sur la pierraille, il en jaillit de partout, même de ces collines jugées impraticables, les Helvètes fondent sur les Bourguignons. La tenaille ! C'est brusquement l'effroi puis la panique chez les envahisseurs. Où est le front ? Chacun pour soi ! Surpris de la tournure, les Fédérés comprennent vite qu’ils tiennent déjà la victoire, Charles n’aura pas sa grande mêlée. Ses troupes se désunissent, se dispersent, incapables de tourner leurs canons. Les archers sont inefficaces, ils ne peuvent plus tirer à bout portant. Les chevaliers du prince ne savent pas où foncer.

Les Suisses en profitent, d'abord la "petite guerre", on coince un ennemi, on le bascule de sa monture et on lui fend le crâne. Ensuite c'est la "poursuite", moins glorieuse, terriblement meurtrière. 

 

 

Charles veut monter en premières lignes, un front qui n’existe pas, il tente de rabattre ses troupes mais le flux l’épate, l’emporte malgré lui, son armée est en déroute avant d’avoir pu combattre. Plus personne n’obéit aux ordres, pas même Moreau qu’il cravache fou de colère. Egaré dans sa fuite, le Téméraire défait sa panoplie qui l’alourdit et galope éperdument, il ne retrouve ses esprits qu’à seize lieues de Grandson, seuls cinq cavaliers l’accompagnent et l’escortent ! Le Duc est en rage, il ne comprend pas, la bataille a duré moins de quatre heures. Quelle bataille ?

Les Suisses font boucherie des avant-gardes en débandade. On se fatigue à détailler ces lâches, leur cassant les lombes. Enfin c’est un grand silence et puis une immense gueulée. Déjà commence le pillage du camp bourguignon, les blessés sont achevés à la miséricorde ou au poignard, on déchire le chapiteau du Téméraire, sans égard pour ses tentures de velours. Les chefs laissent faire un bon moment avant de sonner le rappel à l’ordre. Des régiments disciplinés entassent les trésors abandonnés, tapisseries, vaisselles, armes de guerres, canons, arquebuses, drapeaux, armures et de précieux bijoux. Le butin est si énorme qu’il surprend les combourgeois de la Haute-Union.

 

 Pour les alliés opportunistes de la Bourgogne la leçon est cruelle. Le Roi de France jubile, l’Universelle Aragne file sa toile, ces braves Suisses mâchent son travail. Louis XI en oublie ses hémorroïdes et son urticaire. Presque soixante ans après Azincourt, Anglais vous n'avez qu'à bien vous tenir, sur le Continent votre fer de lance s’est brisé. Quarante huit ans que Jeanne la Lorraine a couronné son père Charles VII. Il l'aura son Grand Royaume de France, il s'en fait le sèrement. Sa proche parente, Yolande de Savoie, se révolte, fait amende honorable et le supplie d’excuser son imprudente conduite. En signe d'allégeance le piteux Duc d'Anjou abandonne à Louis XI son Comté de Provence.

La curée achevée, les Fédérés retombent sur terre. La ténacité du bâtard de Dijon est connue, le Travailleur n'en restera pas là. Ils s'adressent d’abord à Louis le Prudent pour qu'il entre en guerre contre le Vilain Duché. De Lyon, le roi de France fait savoir qu'il a un accord avec ce cousin de Bourgogne, un accord qui le rend impuissant.

Sont-ils dupes ces roués notables de Bern, Fribourg, Lucerne, Zurich ? Pour les montagnards des territoires "primitifs", ce n'est pas fini tant qu'on n'aura pas la peau du Lion ! Un temps les Bâlois réfléchissent, le ralliement patriotique de René de Lorraine les fait basculer dans le camp de la re-va-t-en-guerre. Et puis les Habsbourg ont promis cette fois d'envoyer des cavaliers, enfin Frédéric III ne peut ignorer ses engagements, l' « immédiateté » devrait fonctionner dans les deux sens. Manquer à sa parole fragiliserait l’Empire et inquiéterait ses « 23 » villes germaniques. Certains Helvètes murmurent qu'on fait la guerre pour les voisins, que le « Roi des Romains » ne viendra pas les secourir ! Et c'est vrai ! Tel le capétien, Frédéric pense  que la Lotharingie doit d’abord régler ses comptes, on se partagera les restes après, que ce soit ces Cantons rebelles ou l’opulent Duché. En attendant, l’Autrichien tergiverse, jure et fait patienter les délégations de la Haute-Union. 

 

 

A Lausanne Charles le Téméraire s’est ressaisi et retrouve sa hargne, il a patiemment regroupé ses partisans. Cette même duchesse de Savoie, qui demandait pardon trois mois plus tôt à Louis XI, débarque à Ouchy et entame un double-jeu avec le Bourguignon. Le Comte de Romont n'a plus grand'chose à perdre, il rameute capitaines et soldats en quête d'une solde, il leur jure que le Ponant résultera bientôt. Le gros de cette nouvelle armée se compose de mercenaires peu sûrs et déjà impatients d'être payés.

Van Lierde n’a rien pu sauver. Des fuyards lui ont raconté que le Duc s’est enfui par le Jura. Dans le bourbier de Champagne, Guillaume a su se battre, mieux qu’un lion, puis son capitaine l’a sorti de cette boucherie, ensemble ils ont fui dans la nuit, une pitoyable retraite, avant de tomber sur des miettes de leurs régiments. Un archer italien a annoncé que pour eux les Piémontais c’était tout vu, qu’ils rentraient chez eux. Van Lierde a sorti son braquemart et lui a tranché la gorge. Guillaume a vu les Italiens hésiter, il a cru qu’ils allaient étriper son chef. Et puis les soldats se sont rangés derrière le capitaine. Van Lierde est redevenu le guide et l’organisateur de cette bande de dispersés.

-    D’abord bouffer, s’assurer que ces sauvages ne nous poursuivent plus. Inutile de compter sur la sympathie ou l’aide des indigènes. On va se servir dans leurs étables mais avec discipline. Pour violer les bergères, mettez vous à trois, un piquet, un qui tient la salope et le troisième qui laboure ! Compris ? Evitez de trucider les fermiers, ils ne nous aiment pas, d’accord, mais qui sait, on repassera par là un de ces jours, autant qu’ils continuent à cultiver leurs terres.

Cet assortiment de soldats ou de pillards traîna quatre semaines, descendant et remontant le Val de Travers, infestant la région. L’officier plaçait des sentinelles aux endroits stratégiques. Jour après jour des fuyards isolés les rejoignaient. Les uns n’avaient plus qu’un casque ou un poignard. Van Lierde réquisitionna les forges des villages et les ferronniers rééquipèrent sommairement ce bataillon de désespérés. Six semaines plus tard des éclaireurs arrêtèrent un cavalier qui fonçait vers le bas de la vallée.

-    Le Duc rassemble une armée à douze lieues d’ici sur les hauts de la capitale des Vaudois.

Eclopés et étriqués se mirent en route. Van Lierde et Guillaume firent saisir les chevaux de trait. C’est ainsi qu’ils rejoignirent la Plaine du Loup et le corps de l’armée bourguignonne. 

Les Fédérés se réunissent encore une fois à Lucerne…Deux mois de palabres. Les neinsager gagnent du terrain :

-  Négocions !

- Nous demandons le Mahnrecht, Frédéric a juré, il nous doit son aide !

- On n’a pas vu un seul de ses cavaliers à Grandson.

Certains se souviennent de la visite amicale que leur fit autrefois Philippe à Berne et à Zurich. Après tout nous n'avons pas de frontières communes, avec une paix dans l’honneur voilà le fils du Bon qui rentre dans son terrier dijonnais ! Que le Lion garde la Lorraine si ça lui chante!

-    Après la Lorraine il prendra l’Alsace !

-    Mulhouse est helvétique.

On rapporte que Charles se laisse pousser la barbe. Il a juré qu'il ne la couperait que lorsqu'il reverrait les Suisses. "Je montrerai à ces paysans ce que c'est que la guerre". La promesse autrichienne et le soutien intéressé de René de Lorraine favorisent le camp des bellicistes. Le jeune duc s’est déplacé lui-même pour promettre son renfort. Des espions reviennent de Lausanne, leur témoignage suffit à convaincre les derniers pacifistes. A fin mai la cause est entendue. Des deux cotés on aura encore plus de quatre semaines pour astiquer et fourbir ses armes. L'armée bourguignonne s'est refaite une santé. Des secours arrivent d'Angleterre, d'Italie, de Bourgogne et de Flandres. Les officiers ont enrôlé de force au Brabant et à Liège.

Début juin de l'an pareil Charles et ses bataillons se mettent en branle, de la Plaine du Loup où elle avait pris de longs quartiers, la voilà qui remonte vers Echallens et cambe la cuvette de l’Orbe pour se diriger vers Morat qui est à moins de six lieues de Berne et Fribourg. Guillaume et van Lierde chevauchent cote à cote. L’ancien parle peu.

-    Ca va mon Guillaume, tu te sens prêt pour une prochaine bataille ?

-    Oui Mon Capitaine.

-    Tu ne t’ennuies pas de nos Flandres ? Ta famille doit s’inquiéter ?

-    Les veillées me manquent mais là on entre dans la bonne saison, Mon capitaine, vous… ?

-    Ma famille ? Un sac de nœuds ! Par contre, une de nos bonnes gueuzes !

-    Nous en boirons à Berne dans une semaine ! Paraît qu’ils en brassent une fort agréable.

-    Espérons le !

Le long de la route, les Vaudois les acclament. Ces gens ne tiennent pas à changer de maître. Voilà deux ans qu’ils souffrent des incursions bernoises et fribourgeoises. Les Fédérés pillent et violent.

-    Qu’on en finisse avec la Haute-Union !

-    Protégez-nous de ces sauvages !

-    Dieu est à vos cotés.

Guillaume a douté après la défaite de Grandson. Là il entend ces braves villageois et il retrouve confiance. Il flatte sa jument Fomalhaut.

-    Tu as su te choisir une solide monture, Guillaume.

-    Ce n’est pas moi, c’est mon père.

-    Tu pourras lui dire merci !    

 

 

Deux mille hommes, bernois et fribourgeois, défendent les remparts de la modeste cité de Morat. Adrien de Bubenberg est un chef avisé, la garnison tient ferme et repousse depuis quinze jours les assauts répétés du Comte de Romont. Cette vaillance permet aux Suisses d'accourir.

S'ils ont mis du temps à se décider, c'est encore une fois à marche forcée qu'ils se pointent le 21 Juin près de Cressier, derrière la rivière Sarine. Ils sont 25'000 hommes entassés sur la rive. Le « Puceau de Lorraine » leur amène trois cents gens d'armes à cheval. Les Alsaciens sont là, désobéissant à un Empereur devenu soudain frileux. Les Habsbourg opportunistes observent de loin à l’instar du roi de France. On s’arrangera avec le vainqueur s’il y en a un.  

 

 

Les Fédérés se répartissent les commandements, l'arrière-garde est confiée aux Lucernaires, le corps central regroupe le gros des Suisses, le Lorrain tient l’aile ouest avec ses cavaliers. Les meilleurs chefs sont là !

Von Amman originaire de Neyruz. Fils d'une famille patricienne établie à Fribourg. Son ascension sociale il la doit à de chanceux héritages, à un mariage habilement arrangé et à d'opportunes spéculations immobilières. Morat, sa plaine, le lac et les collines d'alentours il en a la carte pleine tête. A Fribourg il a recruté cent cavaliers, panoplie complète.

Nicod Mestraud le suit comme son ombre, il a fait carrière de mercenaire au service de la France. L'artillerie n'a aucun secret pour lui. Mais hélas, par manque de trait, il ne pourra mobiliser qu’un tiers des trois cents canons pris à Grandson. 

Sébastian von Diesbach a aussi bataillé pour les rois de France. Le mouton noir d’une famille de riches commerçants. De retour à Berne il s'est lancé en politique et fut même élu avoyer de Berthoud. Il a épousé en seconde noce la fille de Dietrich von Hallwyl.

Rodolphe von Erlach, chevalier de la noble société du Distelzwang, un soldat de métier mais un Double (âme) de pacifiste et de diplomate. Jeune officier, il a servi Philippe le Bon à la Cour de Dijon. Il y aurait même fréquenté Charles alors adolescent. L’aristocrate bernois pensait qu'on pouvait négocier. Mais il est là à la tête de cinq cents Oberlandais, montures harnachées.

Gouffé, un batailleur qui ne rêve que de prendre sa revanche depuis le massacre de la garnison de Grandson où son frère a perdu la vie sans pouvoir se défendre.

Hartmann von Andlau représente les Bâlois. Un pragmatique pour qui la guerre n'est qu'un mauvais moment à passer. Deux cents cavaliers légers et rapides.  

Guillaume d'Affry un des rares "romands" de l'état major des Helvètes. Lui aussi maîtrise parfaitement le terrain et à la bataille de Grandson il en était. Cent cavaliers.

Enfin Dietrich von Hallwyl qui guerroya en Hongrie et en Bohême pour le compte des Autrichiens. Lui et son frère Hans commandent les Zurichois bien que leur famille soit originaire d'Argovie. D’autres encore comme le Zurichois Waldmann ou le Lucernois Hertenstein,…

 Un mélange de soldats expérimentés qui a combattu sur tous les fronts d’Europe et d'habiles stratèges partisans de la ruse et de mouvements improvisés. Von Hallwyl est le chef désigné.

-    A Grandson nous avons bénéficié de l'effet de surprise, cette fois le Méchant Turc est sur ses gardes ! Ce faux-cul de Romont se casse les dents sur la garnison de Bubenberg, Morat tient le coup malgré cette brèche taillée dans la courtine par les canons ennemis. Il est temps !

" Holà, partisans de la Haute Union

Holà, bons drilles, fiers lansquenets

Vous qui troussez, créant l’effroi,

Femmes et filles de nos ennemys

Dormez-vous doncque en la tour d’angle

Après quadrillon d'amour?

Oyez, morbleu, ce tapage

Au pied de la muraille.

Par la meurtrière

Flairons la beste sauvage,

Sus au Bourguignon!

                                                                            Chevalier bardé de fer                                                                          

Puissant messire

Dans l'appétence de retrouver Lorraine

Toujours au Grand Duc soumise

Courez avertir nos Stratèges

Avant que le Bourguignon ne monte au beffroi.

Oyez, morbleu, ce tapage

Que prépare l'odieux en son campement,

Chassons la beste Sauvage,

Sus aux Bourguignons! "

(Interprétation libre de L.Tobler d'un cri de ralliement

Du Roi René, 1449) 

 

 

Réuni sous la tente ducale, l'état-major conseille au Téméraire de combattre en plaine où l’on déploiera largement la cavalerie. Charles s'acharne sur Morat, il croit encore en sa moderne artillerie. Et là où il est, entre la ville et son campement, un large fossé le protège d'une sortie surprise de Bubenberg. Personne n'imagine que les renforts des Fédérés soient si proches.

- Et s’ils se pointent, mon artillerie les fauche !

Jacques d'Amanze, Seigneur de Chauffailles, est consterné, bombarder Morat n’apportera pas la victoire, attendre ne peut que profiter à l’ennemi. Pourquoi ne pas assiéger ce bourg et poursuivre au nord ? Mais il obéit et renvoie ses chevaliers. Aux avant-postes personne ne voit rien venir. Les éclaireurs sont rentrés sains et saufs. Dans la citadelle le commandant bernois et ses hommes sont coincés.  

En cette matinée du 22 juin les canons grondent. L’orage menace, obnubile le ciel. Le corps expéditionnaire suisse contourne l'ennemi par petits groupes, barbote silencieusement au creux des bosquets. Hallwyl veut économiser les hommes. La pluie commence à tomber, épaisse, drue. La canonnade sur Morat s'essouffle, les artilleurs visent de travers avec cette flotte qui tombe sans discontinuer. A l’est de Morat, sur une motte boisée, René de Lorraine retient  ses lanciers. Les montures restent calmes malgré le tonnerre et la foudre. La nuit a été éprouvante pour les hommes et les bêtes qui pataugent dans la boue. Chez les Suisses, il y a encore des retardataires qui pullulent de partout. C’est l’anniversaire de la bataille de Laupen. La fête des "Dix Mille martyrs". Un présage ? 

 

La défaite de Grandson n'a pas assagi le prince, au contraire elle excite son besoin de revanche.                 

                                                                               « Sonnez trompetes et clairons

Pour resjouyr les Bourguignons...

Bruyez bombardes et canons...

Donnez des horions,

Tous gentils compagnons...

Suivez, frappez, tuez

Mort aux Fédérés

Ce soir nous souperons à Fribourg

     Et à Berne demain nous entrons ! » 

 

 

Des nuages encore plus noirs obscurcissent les nues, des officiers nonchalants (nonchaloir) assurent que l’empoignade est remise au jour suivant. Lentement les Bourguignons se replient sur leur base, chacun rêve de se sécher et de s’envoyer un bon morceau derrière la collerette dégrafée. D’impatients veinards ont gagné au tirage et ils se voient déjà foutre leurs gotons au bordel de campagne. Le Duc soigne ses soldats.

-    Partie remise les Suisses, le Grand Duc vous laisse encore une nuit pour chier dans vos caleçons ! Remettons la déconfiture à demain !

 

  Soudain, des boqueteaux, les « francs-tireurs » bernois, armés de couleuvrines, lâchent une première salve meurtrière. Chatel-Guyon fait tourner ses canons et riposte alors même que mille pions jaillissent des fourrés. Des centaines de Suisses sont massacrées, René de Lorraine lance sa cavalerie, le malheureux culbute avant même de combattre, mais déjà Lucernaires, Bâlois, Zurichois, Primitifs, Fribourgeois, Bernois foncent sur l’ennemi, en plein sur son campement. Hans de Hallwyl entraîne une escouade vers les artilleurs ennemis qui rechargent aussi vite que possible. Chatel ne sait plus où orienter le tube de ses « Bureau ».

-    Feu !

Chaque boulet fauche une dizaine de piétons qu’enjambe une deuxième ligne de Fédérés.

-    Feu !

La cavalerie bourguignonne se regroupe et part à l’attaque.  

 

 

Brusquement le ciel s’éclaircit, les Suisses y lisent un message divin. Malgré des pertes sévères, les braves d’Hallwyl atteignent l’artillerie, Chatel est blessé, ses hommes sont égorgés, la canonnade cesse enfin, tandis que commence un effroyable massacre. Privée de ses bombardes, le Duc fait charger ses piétons. Les piques de dix-huit pieds transpercent les Bourguignons, on embroche l’ennemi comme une oie de Noël, ceux qui tentent de se sauver en grimpant aux arbres sont empalés vifs, pareils à des corneilles. De leur coté les Schwitzois débouchent d’un couloir mal protégé, l’adversaire est pris à revers, l’enceinte du campement est franchie de trois parts. Epouvantable débandade. Mais cette fois-ci les armées du Téméraire sont prises au piège. Acculés, certains combattants se jettent dans le lac aussitôt poursuivis par les canots des gens de Morat qui leur éclatent le crâne comme ils cassent les noix à la Bénichon. Le sang des Burgondes rougit les eaux. Coincés dans leurs tranchées, les hommes du Téméraire vendent chèrement leur peau. Les Suisses les taillent en pièces. 

 

 

-    Pas de quartier, gueulent Gouffé et Diesbach, qu’on en finisse avec ce méchant Turc ! Vengez nos camarades de Grandson !

Van Lierde se bat derrière Charles, il ne veut pas se retrouver isolé dans une vallée perdue à recomposer une brigade d’éclopés. Le capitaine ne veille plus son protégé, Guillaume ferraille ne sachant trop quel malheureux il pourfend. Soudain le Téméraire est pris d’une formidable panique, à moins de trente pieds, les chevaliers de Lorraine tentent de l’encercler. Le jeune Flamand aperçoit son Duc et se jette au devant des attaquants. 

 

 

-    Tournez bride Mon Seigneur !

Charles se dégage, pique les flancs de son Moreau. Le Duc bouscule sa garde rapprochée et fonce hors champ avant de dévaler les pentes de Salvagny. Le Valois se retrouve seul dans sa fuite. Guillaume est atteint,  il parvient à se dégager et poursuit son Maître. Une poignée de courbatus tente de le rejoindre. Les fuyards cavalent jusqu’aux environs de Morges où ils trouvent enfin refuge. Forcené, le Grand Duc d’Occident ordonne sans attendre qu’on retienne Yolande, duchesse de Savoie, sœur de Louis XI.

-    Elle pourrait me trahir à son frère pour gagner son pardon !

Le fidèle de Marche se charge de la délicate mission. Il lui faudra la nuit pour traverser le lac et rejoindre Thonon. La blessure de Guillaume est profonde, un piqueur lui a déchiré le ventre de sa hallebarde. Une bonne sœur lui emballe le torse d’un pansement compressif. Il rechigne mais contient ses gémissements. On mange quand même, personne ne parle. La noblesse ne craint pas la souffrance physique. Les rescapés sont assis autour d’une table de chêne. Le seigneur de Vufflens leur a ouvert ses portes,  Goumoens organise le séjour de cette lamentable troupe. 

 

 

Chablé (accablé) par la douleur, Guillaume se perd dans de lointains souvenirs. Gamin il jouait au tir à l’arc, ignorant le petit Daniel qui se tenait près de lui. Inconscient d’un danger, Guillaume visait ce qui bougeait en face, de l’autre coté du Peerden. Par accident il blessa une moniale, la flèche lui déchira un sein. Quand le miteux comprit sa bêtise il jeta son arme et s’enfuit. Daniel n’avait rien vu et rien compris sinon qu’il pouvait enfin, lui aussi, s’essayer au tir. C’est le petit qui fut pris et qu’on accusa. Il ne se défendit pas, s’il craignait d’être battu, le « cadet » ne trahit pas son « aîné ».

 

Le surlendemain les fuyards se font livrer de frais équipages. Un triste cortège reprend la route. Il faut pousser Charles qui a perdu toute initiative. Guillaume a pu convaincre les rescapés de remonter vers le Nord en traversant le Jura qu’il a appris à connaître trois mois plus tôt. Ils ne sont qu’une trentaine, blessés moralement et physiquement. Il leur faudra quatre jours pour atteindre Pontarlier. Le duc s’enferme au château de Rivière, une misérable forteresse délabrée. Il y restera cloîtré huit semaines.

- Odi ! Odi !

A Dijon la Cour s’inquiète, à Salins les Etats généraux font savoir qu’ils ne financeront plus aucune campagne contre les Suisses. A Bruxelles, Marie (19 ans), fille du Bourguignon, est quasiment prisonnière des Flamands !   

La bataille de Morat a fait plus de dix mille morts en moins d'un après-midi. Les blessés ? Les vainqueurs attachent une branche de tilleul à leur casque, des émissaires sont envoyés à Fribourg et Berne pour annoncer la victoire.

Cette fois-ci, sur le champ de bataille, le butin est plus modeste qu’à Grandson. Une centaine de canons, un millier de tentes, la chapelle ducale, trois cents bannières, des chevaux, des chars, des armes, des cuirasses et cent cinquante putes terrorisées. Les cadavres des soldats furent rapidement jetés dans des fosses communes. (On déterra plus tard les ossements qui sont aujourd’hui réunis à l’Ossuaire de Morat).                                  

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