Réseau de lumières éparses dans la nuit je vous cherche encore Réseau de lumières amies venez pressez-vous autour de nos visages L’ombre nous avale

Et le rire de maman contre mon épaule

Me montre le chemin. Eteignez les lumières de la ville Eteignez les bougies Les phares de vos voitures Je cherche le rayon vert qui part du cœur Comme un ange J’ai attendu toute la nuit Je voulais entendre ta voix encore une fois Et c’est ton rire qui a explosé dans mes pensées Comme un bateau En deuil Au milieu de l’espace

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Maman,

Tu m’as appris à me réjouir de chaque imprévu 

Tu m’as appris à dire oui 

A plonger la tête dans l’invisible et tu m’as donné une soif de vivre, une soif de célébrer la vie, qui m’habite inépuisablement et qui est au cœur de mon désir de travailler avec la scène. De créer des communautés enthousiasmées et enthousiasmantes autour de la musique, de la parole. On a écumé ensemble les musées et les opéras, tu m’as donné l’amour de la renaissance italienne, l’amour des romans, de la philosophie, l’amour de l’amour.

Un jour je t’ai dit que ce qui nous différenciait toi et moi, c’était le rapport qu’on avait à la vérité. Je pensais que tu n’y croyais pas et je trouvais ça facile. J’avais tort je crois. A ta façon, un slalom tout en douceur, tu restes libre. Tu passes dans nos vies avec ton amour et tu disparais maman. Une histoire de karma. Mon problème, tu disais, c’est que je veux toujours être une fée. 

Tu as toujours fait ce que tu désirais maman. Je me souviens d’une discussion sur l’héroïsme qu’on avait eue ensemble. J’étais très excitée après avoir lu un passage des séminaires de Lacan. Je trouvais ça merveilleux de définir la figure du héros comme celui qui ne cède pas sur son désir. Je crois que tu es une belle héroïne maman. 

Tu as publié ton premier roman (1), tu as aimé follement et toujours comme tu le voulais toi. 

Tu as ta façon bien particulière d’être hors-la-loi maman. Tu fais toujours les choses un peu à côté, avec un sourire tendre, comme pour t’excuser d’être celle qui regarde dans le sens inverse. Comme si c’était involontaire, comme si tu n’y pouvais rien. Tu as cette façon de te tromper toujours de mois ou de jour quand tu achètes des billets d’avion, de taper le rythme des chansons avec la pédale de frein dans la voiture.

Tu te débrouillais toujours pour couper toutes les files, mais avec une telle tendresse que personne ne disait jamais rien. Tu avais cette façon de défendre les positions anarchistes les plus belles, les plus courageuses, avec ce petit rire d’excitation que tu as quand tu t’enthousiasmes. Tu as une force et un courage et une puissance inouïs, maman. Tu montres souvent pattes blanches mais personne n’est dupe. Moi, je ne suis pas dupe. Ta puissance, je l’accueille dans mon cœur, et j’espère que de là-haut, tu seras fière des fêtes à venir.

J’ai envie de partir de l’autre côté du monde

Maud et Gabriel dans les poches 

A la recherche de la tendresse évanouie 

Je fais partie de celles qui ne tombent pas maman 

Je continuerai à danser comme si la Terre allait arrêter de tourner 

Comme tu me l’as appris

Fontaine végétale tes mains délicates portent l’anneau colombien 

Depuis des années 

J’ai peur des départs maman 

J’ai peur de ton départ 

J’ai constitué une armée d’enfants soldats qui dans cette maison ont fait venir les aurores boréales dont tu me parlais quand j’étais petite

Tu étais là, assise par terre, derrière la table de papy Alain 

Et ce goût de liberté tendre et joyeuse 

Arrimée à tous ceux qui t’entourent 

Etait là, avec nous 

On refait le monde maman. On refera le monde maman, comme tu m’as appris, toujours à la pointe de l’épée. Je regarde papa peindre depuis petite tu sais. Il fait toujours venir la lumière de l’obscurité. C’est grave et léger à la fois, la joie.

Ode à toi maman. Ode à la joie partagée. Ode à nos fous rires qui nous faisaient quitter les salles d’opéra. Je le convoque aujourd’hui autour de ton corps que j’aime et qui repose tendrement à côté de cette maison que tu aimes tant.

Le monde entre comillasnous arrive toujours avec un temps de latence, les monstres se cachent derrière le figuier du jardin 

J’ai appris à leur parler dans la nuit 

La peine comme un trou au milieu de la poitrine duquel Salen flores mama

Salen flores y ojos verdes abiertos en el río 

Les magiciens aux voix blessées écrivent des comptes dans les placards 

Un jour, je te les murmurerai à l’oreille

J’ajoute une chose, 

Hier, le grand feu a embrasé l’horizon. J’écoutais les merveilleux amis s’inquiéter pour nous et préparer les bagages, au cas où. L’électricité était coupée à la maison. J’ai eu envie de rire, et de pleurer aussi un peu. Je me suis dit : elle nous a fait le coup de l’incendie.

Horizon rouge, gris, les flammes, et le vent qui emporte tout sur son passage. Je savais bien que tu ne pouvais pas partir sans nous faire un signe à 15 000 volts. J’ai pensé au prologue de ton roman : «Les grands feux sont une espèce en voie de disparition. Ils se propagent à la vitesse du vent et de la nuit. Leur souveraineté soumet l’espace. Pareils aux météorites et au désir, leur dangerosité, leur degré de combustion, leur trajectoire sont imprévisibles.

Dévastation. Régénération. Nous sommes de même nature ; des feux.»

Tu es notre maman aimée

J’ai prié pour toi toute la nuit 

Je t’aime.

(1) L’Envers du feu, éditions Albin Michel, 2015.

Clara Dufourmantelle