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Au gré de la plume
16 octobre 2017

Buoi, mon village !

 

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Encore des captures sur écran !

L.T.

P.S.:     Dimanche, 16h00. Retour de ville en solo. 
Ce matin nous sommes sortis ensemble. Dulcinée souhaitait s'arrêter au café de son fils pour mettre à jour la comptabilité de cet établissement. Moa, moa... la messe à l'église des Martyrs. 
Magnifique ! Une chorale en nette progression, une église complètement rénovée... et avec l'air conditionné, mon n'veu. Un prêtre américain de passage se chargea de l'homélie, le père Alfonso (prêtre vietnamien en charge de la communauté anglophone de Hanoi) conduisant le culte avec son traditionnel humour. Alfonso, Alfonso j'ai soudain un doute, est-ce bien son nom. Ça finit par "o", va savoir pourquoi. 
Dulcinée m'attendait à la sortie et nous nous rendimes au cœur de la Vieille Ville pour rejoindre nos bons amis (dont ceux que nous avons chaperonnés récemment en Suisse). Copieux repas dans la meilleure ambiance possible. Ces gens constituent le "noyau dur" des ami-e-s de Dulcinée. On se connaît depuis plus d'un quart de siècle, alors chacun est à l'aise. À mi-repas un "live" avec l'Australie où vit un mari qui n'a pas suivi ce coup-ci sa femme au Vietnam. Tournant son appareil de téléphone en panoramique, chacun peut saluer le manquant qui boit un verre au bord de sa piscine en plein Victoria, dans les environs de Melbourne. 
Plus tard on prend le café au bistro du fiston (avenue Tran Hung Dao, 18).
Au bout d'un moment on me laisse filer. Longue marche: Tran Hung Dao, Le Duan, Dien Bien, transverse jusqu'à Pham Dinh Phuong... que je traverse pour rejoindre Quan Thanh: bus 14 ou 45, à choix, les deux passent par Thuy Khue.

Lundi matin, 08h16.
Ce qui aurait pu suivre est un sujet intime, des affaires privées. Pourtant je souhaiterais   m'accorder le droit d'en parler ici parce que j'ai besoin de partager mes inquiétudes et parce que cela a, aura une influence sur notre séjour à Hanoi, tôt ou tard. Je le savais avant notre départ. 

À quoi bon m'en tenir à la tournée du village, à des photos folkloriques. Ce modeste bloguinatzet contient depuis longtemps mes humeurs, mes enthousiasmes délirants, mes sombres déprimes, mes opinions politiques, ma bigoterie, ma fatigue aussi, ma détestation du vieillissement, mon plaisir de boire, manger, fumer,... regarder mes oiseaux, saluer des animaux flottants que je ne veux pas cesser d'aimer.
- Snifff, c'est trop d'émotion, mon Doux Papy ! 
- Hiiiiiiiiiiii
- Wouuuuuuuu.
- Bon ça va vous autres. Therefore je "Delete". 

......"........

  Trop tôt, trop tard ?

 

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-          J’ai fait un rêve.

Elle n’écoutait pas, Ky parlait dans le vide. Elle commença par se plaindre, affirmant qu’elle, elle n’avait pas bien dormi.

Un drôle de rêve, inquiétant : il tombait amoureux d’un garçon d’une vingtaine d’années, cheveux longs bien coupés, regulièrement à la manière des collégienne de son pays. Le jeune homme portait une chemise blanche, un noeud de papillon et des pantalons noirs. Il jouait au premier rang d’un orchestre de chambre. Ky crut d’abord que c’était une femme, son regard fouilla le bas du ventre et l’entre-jambes du musicien, ça pouvait encore être une fille mais les femmes de l’orchestre portaient toutes un ao dai traditionnel.

Dans son rêve il aborda le violoniste. Celui-ci repoussait sans arrêt la longue frange qui lui voilait la moitié du visage.

-          Je vous aime, lui lança Monsieur Ky

-          Vous voulez dire que vous m’aimez comme garçon ou….

-          Non, je vous aime “femme”, d’ailleurs je n’ai aimé que des femmes dans ma vie.

-          Alors ça va, dans ce cas je vous aimerai aussi.

 

Si elle avait voulu entendre, Madame Minh lui aurait fait une scène et l’aurait accusé de dépravation, de n’être qu’un bourgeois réactionnaire, un sudiste pourri mais elle monologuait de son côté sur la maison de son fils qu’elle avait abandonnée la nuit entière.

 

-          Ils ne rentrent que Dimanche, ils n’en sauront rien, personne ne saura rien.

Cette vérité ne suffisait pas à la rassurer.

Elle avala son thé vert qui lui brûla la gorge et fit une vilaine grimace en s’essuyant la lèvre inférieure.

Ky caressa sa chevelure encore défaite.

Elle se calma et lui embrassa la main.

-          Je file, regarde s’il y a quelqu’un dans la ruelle.

Un ouvrier poussait sa bicyclette lourdement chargée, barrant péniblement le guidon pour contrôler l’équilibre des deux gros panniers remplis de briques rouges, un chien aboyait, une voisine tentait de retrouver son chat “méo-méo”, mais personne pour voir s’enfuir la vieille femme indigne.

 De retour chez elle, Madame Minh procéda à une inspection complète des lieux et enfin son coeur retrouva un rythme moins fou lorsqu’elle fut convaincue qu’aucun voleur n’avait profité de sa coupable absence.

Il y avait bien quelques petits cacas de rats comme d’habitude, c’est tout.

 

Son fils, sa belle-fille et leurs deux enfants s’étaient absentés pour la semaine. La compagnie d’état, déficitaire, organisait son habituel camp de vacances dans les montagnes, du côté de Ba Vi, en pleine réserve naturelle..

Minh devait s’en aller au marché mais elle craignait de rencontrer quelques voisines, toutes la connaissaient, les jeunes l’ignoraient, celles de l’âge de sa vilaine belle-fille la saluaient poliment, sans plus, les autres…sa génération!

-          Minh, on ne t’a pas vu ce matin à la gym?

-          J’avais la diarrhée, sûrement le poisson pas frais.

Ses amies se mirent à rire comme d’habitude pour tout et rien, pour ponctuer une phrase mais elle s’imagina tout de suite que ces vipères savaient tout, déjà. Elle sentait peut-être la chair de l’homme?

Déjà?

Elle acheta des tomates et quelques autres légumes, s’enferma chez elle.

 

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Cela faisait trois mois que Ky lui tournait autour discrètement. Il vivait seul, sa compagne était morte deux ans auparavant, dans l’indifférence. Personne n’avait annoncé le deuil à travers la ruelle en frappant le gong. Des funérailles de voleurs, avait-on murmuré.

 

Ha Noï a mangé le village depuis bien longtemps et pour les gens d’ailleurs ce n’est plus qu’un quartier de la capitale. Pourtant, autrefois, le patelin avait une enceinte, un portail d’entrée. Des artisans y produisaient un papier  de bambou et en approvisionnaient toute la ville. Parfois un lettré ou un bourgeois se glissait dans une ruelle pour passer une commande spéciale, de qualité supérieure.

Les terrains se font rares aujourd’hui, malgré tout, des terrasses au sommet des maisons, on aperçoit encore quelques arbres, par-ci, par-là.

A l’occasion, les propriétaires cèdent une mini-parcelle vacante, à prix d’or, à un cousin de préférence, à un pseudo-neveu si l’on ne peut refuser, rarement à un “étranger”.

Ky et sa défunte compagne avaient vécu l’essentiel de leurs années à Sai Gon. Et puis elle  hérita, fille unique et ultime survivante, cette vieille bâtisse dans le Nord du pays.

En 75 la parti avait réunifié la nation “viet”, en théorie.

 Lui avait perdu son travail à cause de son âge et elle, elle était tombée soudainement malade, alors ils décidèrent de finir leurs jours dans cette ruelle inconnue. Mais le cancer prit de l’avance et elle ne s’en défendit pas.

Pour la deuxième fois de sa vie Ky s’était retrouvé à l’abandon, seulement ce coup-ci …il venait de fêter  ses soixante-dix ans.   

Personne ne contesta son droit sur la maison, peu de gens assistèrent funérailles. Madame Minh était venue par curiosité.

 Elle pleura rien qu’à voir ce pauvre homme si sec, si maigre, si triste, si vide.

Au Têt suivant elle lui offrit une galette de riz gluant, violet.

 

Plus tard elle lui proposa de faire son ménage une ou deux fois par semaine,  lui laver son linge. Son fils la gronda mais en vain.

Ky hésita et insista pour lui payer une modeste somme d’argent, chaque mois. Elle l’accepta pour montrer à son aîné et à sa prétentieuse belle-fille le bénéfice  d’un travail simple et honnête.

Ses amies lui posaient parfois des questions sur Monsieur Ky et elle répondait n’importe quoi.

-          C’est vrai qu’il a collaboré avec les américains?

-          Il n’avait pas le choix, on le menaçait.

-          Il paraît que sa première femme s’est enfuie en Amérique et qu’elle vit avec un autre homme, certainement un déserteur, un militaire du régime sudiste.

-          Elle a dû se remarier pour trouver un nouveau père à ses deux enfants et obtenir les papiers.

     

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Le lieutenant McQuinn s’essuya les lèvres et lut le rapport de l’officier de garde.

-          Bien, on va interroger ce gars, sûr qu’il sait pas mal de choses. Ky est arrivé?

-          Il vous attend.

Le prisonnier  crevait de peur. Ky  tenta de le convaincre de raconter ce qu’il savait.

-          Ca vaut mieux, tu sais, le lieutenant s’énerve vite.

-          T’es pas un patriote, t’as pas honte de faire ce travail?

-          Peut-être que oui mais là, main’nant c’est toi qu’es dans la merde. J’ai pas le choix, “i” z’ont menacé ma famille.

 

L’interrogatoire dura plus d’une heure, le pauvre VC ne résista pas longtemps. Il pleurait en parlant. Ky traduisait à mesure. On ramena le résistant en cellule.

Mc Quinn invita son adjoint au mess et lui offrit une bière. L’interprète rentra ensuite chez lui où l’attendait son épouse et ses deux jeunes enfants.

-          Tu lui as parlé, demanda sa femme?

-          Oui, il m’a dit que ça ne poserait pas de problème, on les aura dans une semaine ou deux.

     

La petite rate remua son museau mais ne s’enfuit pas. Ky lui sourit. Nick tournait revenant sur les traces du rongeur, refaisant son parcours.

-          Elle est là, patate, sur le mur, regarde, elle te nargue.

 

Le chien l’aperçut et se mit à pleurnicher. Les yeux de la rate brillaient de malice. Nick branlait la queue énergiquement.

-          Allons, dis pas que tu es amoureux de cette  petite salope?

Il songea que lui-même venait de passer la nuit avec une femme de son âge. Il aurait voulu rire, rire de sa propre aventure.

 

-          Tiens, elles ont le même regard! Mais la mienne gling-gling: un tas d’os!

Il brûla une tige d’encens et s’excusa auprès du Bouddha tout en s’adressant à sa défunte et tendre petite pharmacienne.

Madame Minh avait de long cheveux gris qu’elle ne défaisait presque jamais ou alors une fois seule, derrière sa moustiquaire, la lumière éteinte, avant d’ôter son pijama noir et la toile de lin qui lui servait de soutien-gorge. Elle passait sa chemise de nuit.

Quand elle fit sauter la boucle de son chignon tout son corps frissonna. Ky l’observait avec douceur.

Comment cet homme-là a-t-il pu torturer des patriotes? Enfin, peut-être n’a-t-il fait qu’assister aux interrogatoires.

Ses seins frémirent, flasques, vides mais vivants.

Il a des mains si tendres. 

Elle se força à faire le ménage, à préparer un repas mais tout son esprit revenait en arrière. Son corps tremblait en repassant sa nuit.

Vers midi le chasseur de termites sonna à la porte. Il venait vérifier ses pièges.

-          Ca fait dix jours, Madame Minh, j’avais informé votre fils, main’nant faut que j’injecte le poison…si elles ont mordu à l’appât bien sûr.

Il ouvrit le premier carton et découvrit une nuée de petits insectes blancs.

-          Eh! éh! Bon… attention, c’est un poison violent, ne laissez pas le chat s’en approcher. Après trois jours, balancez le carton aux ordures.

-          Mon fils vous a déjà payé?

-          On verra ça plus tard, rien ne presse.

     

En 1956 elle n’avait que dix-huit ans et quelques amoureux lui tournaient autour, certains se saignant d’un bouquet de fleurs ou d’une longue lettre pleine de mensonges.

Toan lui annonça son départ pour la Chine, il partait y étudier la géologie. Le père du jeune étudiant occupait un poste important au Ministère de la Sécurité. On racontait que c’était lui qui avait crée les Services de Renseignement durant la guerre anti-française, à la demande de l’Oncle Ho. Les américains le parachutèrent au nord -Tonkin, en 45, un commando Deer Team de l’OSS le cueillit au sol et le conduisit à Ha Noï. Le pauvre homme rentrait juste de Madagascar où les colonialistes l’avaient exilé.  Plus tard sa famille reçut un bon terrain, au milieu du village et une jolie maison qui avait appartenu à un chinois chrétien.

 

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Le père et la mère de Mlle Minh furent emportés par une épidémie de choléra, sa soeur aînée se chargea de son éducation.

Celle-ci accepta presqu’avec soulagement la demande en mariage. Elle promit de veiller sur sa cadette en attendant le retour du fiancé Toan.

Le brillant universitaire rentra de Chine, ils se marièrent promptement mais comm’i’faut et il repartit quelques semaines plus tard, en Russie cette fois, pour préparer une thèse sur les fissures minérales de la région du Nord Ha Bac.

Elle s’installa comme prévu chez ses beaux-parents.

Plus tard ils aggrandirent la maison, la transformèrent, vendirent quelques parcelles voisines. Elle eut trois enfants.

Son mari l’emmena une fois à Sai Gon en 1978, une autre au bord de la mer à Do Son, près de Hai Phong. Le reste du temps elle vécut dans ce village, entre le marché, la maison de sa soeur aînée et la demeure de sa belle-famille.

Pour le Nouvel-An, pour l’anniversaire de la Réunification, pour la mi-année lunaire, pour la fête nationale, ils montaient en ville, c’est tout.

A vingt ans son visage était rond comme ses hanches et ses seins mais après son troisième enfant elle perdit brusquement du poids jusqu’à en devenir squelettique et sèche.

Son mari l’aima un peu moins, enfin physiquement, car il avait un faible pour les femmes en chair, humides, elle le savait.

Monsieur Ky, lui, prétendait préférer les maigres. Elle se souvint de la silhouette de sa compagne mais la pauvre était déjà si malade. Comment le croire.

 

Elle ne pouvait d’un jour à l’autre commencer à se maquiller comme une gamine ni même se poudrer légèrement les joues, porter des habits plus attrayants d’allure, se teindre les cheveux! Prendre du poids! Impossible.

Lui ne se gènait pas, toujours propre et élégant, une chemise bien repassée, une large ceinture de cuir brun clair. Mais rien de clinquant, rien de ces m’as-tu-vu du Sud, autant les femmes que les hommes, pire: elles s’imaginent à la mode en copiant les prostituées de la rue Minh Khai et eux se croient irrésistibles dans leur costume de lin, blanc-cassé. Leurs ridicules chaussures vernissées!

Il m’a prise moi, parce que j’étais la, je suis certaine qu’il va dans des salons de massage.

-          Ky, vas-tu parfois dans les salons de massage?

-          Quelle question! Crois-tu que je sois si riche….

-          Tu n’as pas répondu! Oui ou non? 

 

McQuinn lui avait obtenu un passeport américain ainsi que pour sa femme et ses deux enfants.

 

-          Comme promis, Ky. Mais on en n’est pas encore là!

 

En 75, début Avril, sa famille partit sans lui et s’installa chez des cousins à elle, près de Versailles en Indiana. Les nordistes envahirent Saï Gon le 30.

Le 5 Juin de la même année il ouvrit la porte à un vieux copain de fac.

-          Ky, je t’arrête pour complicité avec l’ennemi et actes de torture.

 

Il passa sept ans dans le Delta, un camp en pleine campagne, à cultiver du riz, à rédiger ses sempiternelles “confessions” quotidiennes.

-          Fantoche-Ky, si tu n’as torturé personne de tes propres mains, qui le faisait, tu ne donnes que des noms d’américains, on veut  des noms d’ici, allons, un effort. Et là ce voisin dont tu parles, page 3, alors il allait à la messe tous les matins, sa femme, l’institutrice ? 

Un après-midi de 82, un officier de haut rang grimpa sur un escabeau et s’adressa à la foule des prisonniers assise dans la cour principale écrasée de soleil.

-          La patrie manque de travailleurs hautement qualifiés, elle est prète à vous donner une chance, ceux qui ont un diplôme d’université ou une formation technique….vous levez la main.

Il y eut une vague, un étrange murmure et puis un lourd silence. Personne ne se manifesta.

Soudain Ky se dressa.

-          Camarade Général…

-          Colonel, colonel….toi, ton nom!

-          Nguyen Trung Ky

-          Ta profession …avant….?

-          Journaliste…enfin journaliste dans le domaine de la Santé, j’écrivais des articles pour…..le peuple, pour comprendre les maladies et si possible les éviter ou les soigner par des moyens simples, économiques et efficaces.

Le militaire lui fit une lettre d’introduction pour un magazine de Saï Gon, on le libéra dans la semaine.

Sa maison de la rue Nguen Van Thu était maintenant occupée par la famille d’un policier, il n’insista pas et logea chez un ami pharmacien.

-          On me laisse tranquille parce que je suis vieux, ironisa l’apothicaire, mais on m’interdit de travailler, heureusement en 75 j’ai pu cacher une partie de mon stock, j’ai tenu le coup. Tout périmé. Hi!Hi! Tu verras, tu pourras m’aider, tu sais maintenant faut se serrer les coudes mais y’a quand même d’excellentes affaires, allez….dis donc, tu vas vraiment refaire du journalisme pour ces cons?

-          Des articles sur la santé, rien de dangereux.

 

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Ainsi Ky réintegra une forme de vie civile, presque normale, aussi normale que le permettaient les gens du nord. Chaque semaine une rumeur traversait la ville, une nouvelle décision, contraire à la précédente obligeant les uns et les autres, sympathisants ou réfractaires, à ne plus faire ceci comme cela mais cela comme ceci. Compris, camarades?  

Les communictes avaient mis du temps pour reprendre en main la folle mégapole sudiste, bien plus developpée que ce qu’ils n’avaient osé imaginer.

Le journaliste se présenta  au Siège de sa rédaction où on ne l’attendait pas vraiment mais personne jusqu’ici n’avait relancé de rubriques “santé”, alors on le laissa faire. Et puis n’avait-il pas l’accord des autorités compétentes?

Et il y fit  merveille, enfin grâce à son ami pharmacien qui lui fournissait de vieux articles de “Santé et Hygiène”.

Le matin les deux compères se rendaient très tôt à la poste centrale et  contactaient systématiquement les familles qui venaient retirer des colis envoyées par leurs cousins d’Amérique, de France et d’Australie.

Le simple rapport triangulaire, poids, valeur et contenu, avait favorisé l’expédition quasi exclusive de médicaments.

Pas question d’inclure des bijoux ou de l’argent, les douaniers auraient séquestré le tout sous n’importe quel prétexte. Nourriture et habits ne présentaient aucun intérêt, parfois des bas ou des sous-vêtements de luxe…qu’on revendrait à une pute de Dong Khoï mais là encore, le censeur aurait tenté de confisquer cette fantaisie pour l’offrir à une maitresse, patronne d’un encore discret salon de massage.

Peu connaissaient exactement la valeur réel d’un produit pharmaceutique. L’approvisionnement officiel se faisait principalement auprès des pays frères, ces médicaments ne portaient aucun nom de marque et chacun s’en méfiait.

Le vieil ami de Ky avait parfaitement rodé sa mécanique, ainsi qu’au moins deux cents de ses confrères “hochiminhiens”. Ils s’étaient partagés la ville!

Chacun se mettait en piste, le soir, le matin, visitant les hôpitaux et certaines officines privées, s’enquérant des besoins essentiels, pas forcément ceux liés à la pathologie des malades mais à la demande des patients eux-mêmes, des chroniques qui ne croyaient qu’en leur spécialité coutumière.

Vers midi ils revenaient à la poste, attendant que la standardiste les appelle:

-          Camarade Khai, cabine “3”, l’appel est pour toi. N’oublie pas de récupérer ta carte d’identité.

Le cousin de Paris l’attendait au bout du fil, c’est lui qui payait la communication:

-          Bonjour Cousin Hung,….voilà la liste….

-          Je note, répondait le parisien.

Lui de son côté connaissait toute la diaspora vietnamienne et lorsque Madame Yen voulait faire parvenir mille francs, ou plus, ou moins, à son frère coincé au pays, le Cousin Hung préparait un carton de comprimés de toutes les sortes, rarement des flacons, des ampoules injectables…oui, jamais de suppo. Les colis prenaient leur temps mais la machine tournant à pleine vapeur, on trouva progressivement de tout, dans le sud principalement, les tonkinois se méfiant encore de ces pratiques anti-socialistes. Une fois les produits pharmaceutiques revendus dans les hôpitaux, Khai ou son associé, ou l’un des deux cents autres colporteurs-pharmaciens, remettait la somme au destinataire initial, rubis sur ongle et sans jamais faire allusion à une soudaine baisse….hausse des prix du marché. L’important pour maintenir la vigueur de cet étrange business était de trouver de nouveaux correspondants, par exemple au Canada ou en Australie. Alors ils trainaient devant la vieille poste centrale.

Comment les cousins d’outre-mer se procuraient-il les medicaments? Ca!

La poste et les douanes ignorant la valeur du paquet, de son contenu, se contentaient de prélever une ou deux boîtes, au début au hasard et ensuite ils jugèrent préférable d’intégrer complètement le système.

C’est au cours de ses tournées que Monsieur Ky rencontra sa compagne, la petite pharmacienne. Elle quitta son hôpital où elle ne faisait rien d’utile et où on la payait mal.

 

En 1992 une lettre arriva, des Etats-Unis. Elle comprit instatanément que c’était un message de l’épouse de son amant. Celle-ci lui annonçait la mort de son “mari d’outre-mer” et proposait à Ky de venir la rejoindre en Californie où elle avait récemment déménagé, la famille serait ainsi reconstituée et il pourrait retrouver ses enfants. L’OMI, rue Pham Ngoc Thach, lui expliquerait la procédure à suivre. Il observa la fragile pharmacienne et lui sourit. Ils n’en parlèrent plus. Même lorsqu’elle agonisait sur son lit d’hôpital. Ces “enfants” lui manquaient pourtant.

En 1993 son vieux complice mourut en lui laissant peu de liquidités. Certes les affaires marchaient bien mais il y avait toujours des frais imprévus, de la marchandise non payée, de pattes à graisser.

On lui apprit que les occupants de sa maison, rue Nguyen Van Thu, cherchait à la vendre pour retourner au nord. Il céda, à un bon prix, celle que son protecteur lui avait léguée et finalement récupéra la sienne. Elle avait souffert mais il fut heureux de pouvoir rentrer “chez lui”.

Grâce à la complicité des douanes, les colis familiaux se transformaient parfois en pleins containers, la demande augmentait à mesure que le pays entrouvrait ses portes.

Cependant lorsqu’un étranger, qu’il connaissait à peine, lui offrit de l’engager, Ky accepta sans hésiter. Il sentait bien qu’un jour ou l’autre on en reviendrait à un commerce plus traditionnel.      

Et puis il en avait assez de traverser la ville de long en large, Ky aimait le contact des occidentaux. Enfin la pharmacie française était bien cotée dans l’ex-république sudiste. Il avait maintenant un salaire fixe, en-dessus de la moyenne. Mais par prudence il décida de continuer à écrire quelques articles dans le Journal de la Jeunesse. Le magazine venait de s’allier à un groupe de presse japonais. Sa rubrique s’étalait sur deux grandes pages, le courrier des lecteurs affluait, il lui suffisait de demander à un docteur ou un autre de répondre. Quel que soit le régime l’orgueil des médecins demeure. 

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 Toan était rentré d’Union Soviétique bardé de diplômes et même d’une médaille: le Mérite Universitaire Moscovite. Le ministre de l’Industrie et des Ressources naturelles l’avait engagé comme conseillé, à la demande pressante de son père auquel on ne pouvait rien refuser pour le moment tant ses dossiers étaient encore lourds de secrets compromettants.

Mais le géologue prit son travail à coeur et fit rapidement oublier qu’on l’avait recruté par faveur.

Toan traversa les orages, les tempêtes, les typhons et les ouragans du régime avec une bravoure exemplaire, au prix de quelques humiliations mais  sauvant à chaque fois sa tête grâce à cette profession rare et spécifique.

Sa stratégie demeurait la même, simple mais efficace: faire partie de toutes les missions envoyées au dehors pour négocier des contrats et récolter les informations techniques nécessaires à sa survie.

A chaque réunion, ici ou à l’étranger, il savait poser les meilleures questions et surtout solliciter le complément d’un dossier, souvent proche du savoir-faire confidentiel et propriété intellectuelle du partenaire potentiel. Le ministre souriait alors, tout heureux de voir la partie “adverse” forcée de lacher un “leste”, précieux pour un pays si en retard dans tous les domaines.

Le géologue ne s’offusquait plus de voir ses supérieurs tirer à leur profit un bénéfice prestigieux de ses connaissances techniques et de son habileté de négociateur. Son père lui avait aussi appris à manipuler sans vergogne de jeunes confrères plus à la page, ambitieux, besogneux, comploteurs et vénaux.

Madame Minh renonça à ses études vétérinaires, avec regrets car elle avait été choisie par le Comité du District pour entrer dans cette Ecole nouvellement créée. Elle se consacra à l’éducation de leurs trois enfants. Minh vénérait ses beaux-parents, sans aucune amertume, elle les servaient avec un respect confucéen et une ferveur taoiste.

A ses yeux les valeurs familiales dominaient la vie en son entier. Le reste, la politique, les manigances, les injustices manifestes, la corruption, le népotisme... elle choisit de tout ignorer.

Son mari prit sa retraite mais n’en profita pas. Il mourut d’un cancer de l’estomac. Ses beaux-parents le suivirent à quelques mois près. Toutes ces cérémonies successives l’épuisèrent.

Alors elle entra dans la peau de l’”aïeule” tout en refusant de se mêler de l’éducation de ses petits enfants. Elle n’intervenait qu’en cas de maladie ou pour jouer un soir ou l’autre le rôle de la nounou.

Son fils travaillait aux “télécommunications”, un ingénieur, répétait-elle aux vipères. Un spécialiste en quoi ? Ca elle ne pouvait rien dire de très précis.

Un spécialiste, un ingénieur.

Il s’absentait souvent, à l’étranger ou au bistro en centre-ville.

  

Sa belle-fille avait trouvé un poste de “manager” dans une société étrangère.

Quand la vieille annonça qu’elle ferait désormais le ménage chez Ky-le-sudiste, trois fois par semaine, son garçon réagit vigoureusement.

-          Enfin, mère, nous avons assez d’argent.

 

Elle n’avait jamais rien connu de pareil, cet homme-là prenait son temps, la caressait, la rendait folle, murmurait des mots qu’elle n’avait jamais entendus. Il l’entrainait dans des jeux démoniaques mais si plaisants.

Encore trois jours et la famille rentrerait des montagnes. Elle se jurait de ne pas se glisser, la nuit prochaine, chez ce diable-là.

 

Monsieur Ky restait calme.

-          Tu fais comme tu veux.

-          Si je ne viens plus tu iras…

-          Au salon de massage? Je te l’ai déjà dit je ne suis pas si riche.

Elle se laissa faire, encore une autre nuit.

 

Ky n’avait plus d’illusions. Il aimait cette femme comme un jouet. Ca l’amusait de la voir perdre la tête comme une gamine, défaire son chignon. Certes il était né hanoïen mais l’essentiel, le meilleur et le pire, l’intense il l’avait vécu à Sai Gon. Et ici ça puait vraiment trop le communiste, pas le vrai de vrai, non, l’autre le pourri, l’ignorant, le donneur de leçons.

Minh?

Minh poussa un cri perçant qui déchira profondément la nuit.

Un voisin crut qu’on commettait un crime chez “le collabo-fantoche”. La police du quartier frappa à sa porte. Il ne put faire autrement qu’ouvrir. Deux hommes en uniforme le bousculèrent et se précipitèrent à l’étage.

Ils découvrirent avec stupeur Madame  Minh, fardée comme une pute, vêtue de dessous de dentelles affriolants.

-          Madame Minh?

L’officier s’interrompit comprenant tout ou presque en la voyant se cacher le visage entre ses mains. Ky ne la battait pas, ne la séequestrait pas et ne l’assassinait pas plus. Elle n’avait lancé qu’un cri de femme, un cri qu’elle n’avait jamais libéré, retenu quelquefois, autrefois, à cause de son beau-père qui dormait à quelques mètres, ou de leurs enfants reposant à leurs côtés..                

Là elle avait tout oublié, son mari défunt, le village, son âge, sa maigreur.     

Oublie tout….une seule fois.

Ky redescendit avec les deux policiers et leur offrit une bière.

-          Elle est veuve et moi aussi, voulut-il s’excuser.

-          Bon on va prétendre que vous regardiez un film vidéo! Punaise!

 

 Une voisine se méfia et guetta derrière sa fenêtre sans rideaux. Elle veilla comme un chasseur à l’affût, jusqu’à l’aube. Il n’en fallut pas plus.

 

La nouvelle fit le tour des ruelles.

Samedi la famille rentra et des braves gens les mirent au courant.

Madame Minh ne sortit plus de chez elle, jusqu’à sa mort, deux mois plus tard.

 

Son fils eut une longue conversation avec monsieur Ky. Celui-ci  resta calme et ne changea que peu de choses à ses habitudes. Il dut repasser ses chemises lui-même.

Finalement il obtint les papiers nécessaires à la vente de la maison de la petite pharmacienne, sa compagne disparue. On voulait le voir partir au plus vite.

Il s’arrangea avec un cousin de Paris, celui-ci traitait quelques affaires à Da Nang, de l’export, des meubles en rotin. Monsieur Ky paya pour lui. Il retrouverait ainsi son argent en France, sans se faire coincer à la douane, le jour de sa sortie.   

Il garda l’argent du billet et mille dollars dans sa poche.

-          Rien à déclarer?

-          Rien, juste…ah…le carnet de vaccination de mon chien Nick.

-          Ca , faut voir avec le service de santé, là-bas.

 

Un lointain neveu l’accueillit à Roissy et lui offrit de loger chez lui.

Une semaine plus tard il prit le train pour Venise. Dans le compartiment un jeune homme très fin, une longue mèche bien coupée voilant la moitié de son visage, un jeune homme portait une chemise blanche, un noeud de papillon et des pantalons noirs.

Ky lui sourit.

-          Vous êtes violoniste?

-          Oui, répondit l’androgyne vaguement surpris.

Il se tourna vers Nick qui branlait la queue, bien installé sur sa couverture.

-          Tu vois, Nick! 

image

  

LT/09.02/07.03

 Au  vrai Monsieur K. 

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