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Au gré de la plume
15 octobre 2017

Buoi....,

 

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L.T.

Samedi 14, tendresse, 11h05. 

Espérons que Dulcinée consentira à se reposer. Vieillir est un travail à plein temps, un apprentissage constant de notre lente dégradation. Une négociation. Pour cela il faut s'y mettre au plus tôt. Les années conventionnelles n'ont rien à voir là-dedans. 
Les approches varient selon les individus, certains jouent aux aveugles, fiers, prétentieux, rejetant les mini-constats qui, il est vrai, ne sautent pas toujours z'aux yeux. 
L'âge de ses artères, c'est la jeunesse du cœur qui prime,.. mon docteur dit que je suis en pleine forme,... Foutaise !

Les autres, dont je suis, se lamentent (à haute ou à basse voix), ils inventorient ce qu'ils ne peuvent plus faire, ou plus faire aussi bien qu'avant (?). De faux cyniques à la recherche des mille astuces permettant de "faire quand même". 

Très vietnamien: Joseph nous permet aimablement l'usage de sa Wifi. Qui est faiblarde mais il s'en moque ce qui compte pour lui c'est l'avoir. Ma tablette s'est souvenu du mot de passe et pour mettre mon blogue à jour (texte) je me tiens au coin-fenêtre de notre cuisine, au plus près de chez eux (seul endroit qui n'est pas coupé par la maison de M.Cong, maison bâtie entre celle des Soviets et la notre. Bref il n'y a qu'un endroit où l'on est en contact quasi direct.
Mes photos, normalement je les poste sur mon bloguinatzet en m'installant dans un petit café de la rue Hoang Hoa Tham (café ou l'on me traite fort bien). La wifi est extra ! 

Notre nouvel ordinateur portable ne connaît pas le mot de passe des Soviets et ça nous gêne de le lui (re)demander. 
- Faut suivre, O Mon Papy !
- Résumons, ma tablette est branchée sur le wifi de chez Joseph, ça marche dans un seul endroit de notre cuisine, en plus faut être patient. Notre nouvel ordinateur: non. 
Therefore aujourd'hui samedi, je tente l'impossible: capture d'écran (sur notre ordinateur) avec la caméra photographique de ma tablette ! La qualité en souffrira. 

 

 

12h30, samedi. 
Rappels importants: 
- Au Vietnam on vous dit souvent des choses sans les dire, on vous ment rarement mais on utilise beaucoup l"omission partielle" * . Difficile de différencier l'intentionnel d'une atavique méfiance (mélange d'un héritage millénaire et du communisme local). Prudence = précaution, prudence culturelle. 
- Je perçois des choses et je crois en percevoir. Mais je me trompe souvent. 
- Ce sont nos premiers jours, je navigue entre des extrêmes, ce qui fait tanguer ma barque, fluctuat nec mergitur, retrouvant des atmosphères chaleureuses, des émotions et en même temps je résiste comme j'ai toujours résisté. 
Par un exemple: hier assis à l'avant du bus qui montait en ville (une gentille gamine m'ayant cédé sa place * * ), bien installé en première loge j'observais le bordel du trafic. J'en souriais à la manière de ces touristes, tout en pensant tristement: le pays ne s'en sortira donc jamais de ce désordre. 

*    Qu'est-ce qui différencie l'omission de l'omission partielle, hein ? 
- L'omission: vous ne dites pas à votre conjoint-e que vous êtes allé-e au salon de massage.
- L'omission partielle: vous dites que vous n'êtes allé-e au salon de massage... que pour votre dos, côté "pile". 

* * cette gamine me céda son siège avec une sorte de fierté. Moa, moa, ainsi que je le raconte plus haut, je me dis qu'il n'est pas mauvais d'avoir l'air vieux (= d'être vieux). 

Dulcinée cuisine. Friture de tofu, sens-je. Un régal ! 

 

17h30: Dulcinée est sortie pour le riz. Bien qu'elle ait dormi un bon moment cet après-midi elle traine encore un vilain mal de tête. Sa santé n'est pas robuste. 

 

La réédition de mon "Momoh..." est achevée. 

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P.S.: Une vieille nouvelle...

L’eau du bébé.

Sur la terrasse de la maison Toan fumait sa dernière cigarette du jour. Sa femme ne supportait plus l’odeur du tabac. Avant de redescendre au salon il se rafraichirait encore la bouche en se gargarisant à la Listerine. 

Chaque soir en rentrant de son travail Trang préparait le repas. Après avoir mangé elle abandonnait la vaisselle à son mari et montait à l’étage pour prendre sa douche. Ensuite elle s’installait au salon et regardait la télévision. Epuisée, elle s’endormait immanquablement sur le sofa.

Son mari trainait longtemps sur la terrasse. Il parlait a ses plantes comme si elles avaient une âme, bien qu’il n’eut aucune idée de ce pouvait être une âme. Et ses plantes étaient toutes sauvages, ou alors le résultat d’essais hasardeux. Il enterrait un noyau ou des graines et attendait pour voir. Une seule exception, un bougainvillier qu’il avait acheté il y a quinze ans en entrant dans cette petite maison du village. L’arbuste fleurissait au moins trois fois l’an et donnait des fleurs de couleurs différentes.

Au loin on aurait pu imaginer le lac de l’Ouest. Mais avec les années, et la rareté des terrains à bâtir, les nouvelles constructions prenaient des étages, trois quatre, cinq, parfois plus. Et d’ailleurs le village n’était plus qu’une banlieue de Hanoi. Plus personne ne gardait la mémoire des temps anciens où l’on y produisait du papier en macérant des troncs de bambou. Et puis après le départ des Français, les premiers habitants avaient abandonné l’endroit. Les patriotes démobilisés en avaient hérité. Et depuis les pères vendaient à leur propre parenté, morceau par morceau, les derniers lopins de terre. Par chance et grâce à un de ses amis d’enfance Trang avait pu en acquérir un.       

-          - Depuis quelques jours l’eau sent vraiment mauvais.

Toan vint s’asseoir près d’elle sur le sofa et commença à lui masser les pieds comme il le faisait chaque soir.

-          - Merde alors, t’aurais dû me le dire plus tôt, j’aurais regardé dans le réservoir de la terrasse, qui sait, peut-être qu’un rat s’y est noyé.

-          - Fait trop nuit, t’aurais rien vu.

-          - Je jetterai un œil demain.

Ils parlèrent de tout, de rien.

-          - Tu veux faire quelque chose de spécial pour ton anniversaire ?

Dans une semaine Trang fêterait son demi-siècle. Passer la cinquantaine ne la réjouissait pas. Elle, avec ses allures de jeune femme, acceptait mal cette bascule dans le clan des vieux. Ce n’était pas que dans la tête comme l’écrivent les magazines.

-          On pourrait aller à l’Auberge du Colvert ?

Elle ne répondit rien. Elle était une femme de la ville bien qu’originaire de Thanh Hoa et lui un Saïgonnais transplanté à Hanoi. Une fois sa soixantaine passée il s’était mis à détester la capitale. 

-          Ah ! Non, le restaurant ne vaut rien et les chambres sont trop chères.

Pourtant Toan aimait bien cette Auberge du Colvert, perdue à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Hanoi, en pleine campagne. Il n’y avait jamais personne. On pouvait profiter de la piscine sans être dérangé par les capricieux gamins de la nouvelle bourgeoisie hanoienne. On trouvera autre chose pensa-t-il.  

 Le lendemain, après le petit déjeuner, Trang lui rappela de vérifier le réservoir d’eau sur la terrasse. Comme d’habitude Toan sortit la moto devant la maison, sa femme l’embrassa, mit son casque et partit au travail.

Elle ne rentrerait qu’en soirée. Il avait tout son temps pour ne rien faire ou si peu. Pourtant il ne s’ennuyait jamais. Ses contacts avec les voisins et les autres habitants de la ruelle étaient quasi nuls. On lui reprochait les restes de son accent sudiste et probablement son passé de « fantoche », son appartenance à l’autre armée.

Son passé ? Qui en avait informé les villageois ? Probablement un policier du quartier. Ces gens doivent tout savoir de la vie de chacun. Trang l’avait rencontré lors d’une de ses innombrables missions à Saigon. Elle venait de divorcer d’un mari paresseux et buveur de bière.

Toan était un homme calme, joyeux et tendre. Il y avait cependant en lui une sorte de tristesse ou de fatalisme. Peut-être était-ce là son charme ? Il lui raconta son passé, rien de glorieux. Professeur d’anglais à peine diplômé, promu officier de liaison puisqu’il était éduqué. L’armée américaine l’utilisait comme traducteur lors d’interrogatoires. En 1975 il se retrouva naturellement dans un camp de rééducation du côté de My Tho, en plein Delta du Mékong. Sans le soutien de quelques anciens camarades de fac il n’aurait pas tenu le coup. Sept ans d’humiliation. Il devait chaque semaine réécrire une complète confession de ses crimes. Et cette confession devait inclure les noms et adresses de ses proches et de ses compagnons d’arme, avec l’état de leur relation, bonne ou mauvaise. 

A sa sortie, pour survivre, il donna des cours privés d’anglais. Toute la jeunesse sudiste voulait apprendre cette langue comme pour défier le Pouvoir du nord. C’est d’ailleurs ce qui lui permit de rencontrer Trang. Elle cherchait un anglophone qui puisse traduire la masse de documents que lui confiait sa société.

Lorsqu’ils décidèrent de se marier ils firent un choix, c’est lui qui viendrait à Hanoi. La coupure fut brutale. Passer de Saigon la rebelle à Hanoi la provinciale ! Depuis il continuait à traduire des textes et des ouvrages pour des maisons d’Edition. Il prenait aussi quelques élèves qui souhaitaient passer leur TOEFL dans l’espoir d’une bourse d’étude à l’étranger.

C’est ainsi qu’il passait son temps à la maison. Ses activités rapportaient peu d’argent mais heureusement sa femme avait un excellent travail. En plus il faisait le ménage, la lessive et la vaisselle. Trang ne lui en demandait pas plus. Ce deuxième mari ne buvait qu’a certaines occasions, il était là quand elle rentrait. Hélas il fumait.

Les villageois ne l’aimaient pas.

Toan grimpa sur la terrasse. C’était l’heure de la sieste. Il plongea sa tête dans la fenêtre supérieure du réservoir d’eau. D’une main il se retenait pour ne pas tomber à l’intérieur. C’était un réservoir à l’ancienne, en ciment. Aujourd’hui on les remplace par des citernes en aluminum, peu discrètes, jamais esthétiques mais parfaitement étanches.

-          On n’y voit pas plus que dans le trou du cul d’un nègre.

Sa voix résonna car il n’y avait de l’eau qu’à mi niveau. Il se souvenait de ce commentaire sur le « trou du cul d’un nègre » qu’il avait entendu de la bouche d’un courageux G.I. … noir qui s’enfonçait dans un tunnel ou se cachait des résistants. Ce qui l’avait alors amuse c’est que ce soit un soldat noir qui fasse ce commentaire.

-          Qu’est-ce qu’il connaissait en trou du cul, pensa-t-il en balayant sa lampe-torche à la surface de l’eau du réservoir.

Soudain il aperçut une masse informe qui paraissait gonflée, arrondie, rose et lisse. Trop grosse pour un rat mort, un chat ou un chien sans poils, un poulet déplumé ? L’odeur était infecte.

Il se lava les mains plusieurs fois. Qu’allait-il en faire ? A l’aide d’un balai il avait tiré la chose près de la fenêtre du réservoir. Il avait failli vomir. Il s’était assis un moment sur le sol de la terrasse. Et puis il s’était ressaisi. Toan retrouva sans savoir comment ses vieux réflexes de prisonnier. Ses années de rééducation lui avait appris à se fixer sur l’essentiel.

Autrefois il avait dû nettoyer les latrines du camp ; plus souvent qu’à son tour car l’officier responsable détestait les « fuyards de 54 », ceux qui avaient abandonné le Nord au moment de l’indépendance. Les « deux fois traitres a la patrie». Catholiques, bourgeois, capitalistes.

Qu’allait-il en faire ?

Il avait emballe le corps du nouveau-né dans une grande toile de plastique. Le tout ne faisait pas un bien gros paquet bien que le bébé fut gonfle d’eau. Depuis combien de jour était-il là ?

Etrangement il ne se posa pas de suite la question la plus importante : qui l’avait mis dans le réservoir. Toan observa les terrasses voisines. Il n’y avait personne à cette heure qui suit le repas de midi.

Réfléchir ! Fallait-il en parler à Trang ? Elle en serait horrifiée et toute retournée. La police ? C’eut été logique mais avec son passé, les rumeurs des vieilles sur ce collabo des Américains, ses allures de solitaire forcement hautaines,…

On l’interrogerait pendant des heures, la presse ferait un grand tapage, Hanoi adore ces histoires  sordides. Trang ne s’en remettrait jamais.

Il se rendit d’un bon pas sur la rue Hoang Hoa Tham ou l’on vend de nombreuses plantes vertes. Il acheta un large pot et deux sacs de terre. La patronne de la boutique le connaissait car il buvait chaque matin son café, en face, elle appela par téléphone son « xe om attitré » (mototaxi) qui transporta tout cela jusqu’à la maison de son client.

Demain il trouverait une plante.

 

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Il essaya de se souvenir. Avait-il vu récemment une femme enceinte le long de leur ruelle ? Bien sûr qu’il y avait des femmes enceintes, surtout en cette année du dragon.

Le corps du malheureux nouveau-né bien enfoui dans ce large pot sous deux sacs de cinq kilos de bonne terre, Toan entreprit la vidange complète du réservoir d’eau. La nouvelle pompe était silencieuse, personne ne l’entendrait marcher durant plus de trois heures. Car il fallut bien trois heures pour vider l’eau puante, rincer le conteneur et le remplir à nouveau.

Ce soir-là Trang ne fit aucune remarque comme si elle avait oublié ce problème d’eau nauséabonde. Elle prit sa douche, s’installa sur le sofa au salon et s’endormit pendant que son mari lui massait les pieds.

La solution du rempotage ne plaisait pas à Toan. Et si la plante fraichement plantée crevotait ? Trang en achèterait une autre et découvrirait le nouveau-né ou ce qu’il en restait. Car si la terrasse était un peu le jardin secret de son mari elle se permettait de temps à autre des coupes sombres dans cette jungle qu’elle avait baptisée « Babylone ». Et elle prenait toujours ces initiatives brusquement, sans prévenir, de préférence en fin de semaine.

Il lui restait donc trois jours pour trouver une meilleure solution !

Ce soir-là, en fumant sa dernière cigarette, il observa les terrasses tout autour de la leur.

-          Si quelqu’un ou quelqu’une s’est débarrassé de ce pauvre bébé c’est qu’il ou elle a pu passer d’une terrasse a une autre, simplement en enjambant un ou deux murets. C’est donc un proche voisin et qui connait mes habitudes et mes horaires tabagiques.

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Il y eut de grands cris dans la ruelle. Ils provenaient de la maison d’à côté, celle de la professeure d’anglais, une femme dans sa cinquantaine, divorcée. Elle avait une vieille rancune envers Toan estimant que ce « mauvais homme » lui volait une clientèle d’étudiants.

Toan rentrait de promenade. Il aimait descendre en matinée vers le grand lac de l’Ouest, d’abord en suivant la jolie rue Vong Thi et ensuite en longeant la rive.

A deux pas de chez lui se tenaient deux policiers.

La professeure d’anglais avait deux garçons, enfin des adultes aujourd’hui. Le premier s’était marié et le nouveau couple habitait là. Le cadet était un jeune homme timide. L’ainé enseignait l’anglais comme sa mère… et comme son grand-père.

Le village était sous tension. Les vigiles forçaient les curieux à circuler. Dans l’après-midi une brigade spéciale investit la maison du drame. Toan entendait leurs voix et les pleurs de la mère et de sa belle-fille.

Celle-ci avoua son crime. Elle avait réussi à dissimuler sa grossesse durant plus de six mois. Son mari ne voulait pas d’enfant ou pas encore car il ne gagnait qu’un maigre salaire. Elle avait trop longtemps hésité, il aurait fallu d’abord tout dire à son mari et à sa belle-mère. Alors elle essaya quelques médecines chinoises pour s’en débarrasser.

Comment put-elle dissimuler ses contractions et finalement son avortement a toute la famille ? Mystère. Elle avait eu la force de grimper sur une échelle pour rejoindre la terrasse voisine, celle de la maison de Toan et Trang. Cette pauvre jeune femme désespérée n’avait pas pensé plus loin, elle avait jeté son enfant mort-né dans le réservoir avant de retourner se coucher !  

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Lorsque sa belle-mère prit sa douche elle fut troublée par l’odeur de l’eau. Elle envoya son fils pour contrôler l’état de leur citerne, une en aluminium. L’ainé découvrit le cadavre du bébé…

La coupable s’effondra. Un mauvais génie lui avait rendu son « enfant », probablement pour la punir.

Toan écouta sans rien dire le compte-rendu de son épouse. La veille, après avoir fumé sa cigarette sur la terrasse, il avait eu la brusque idée de mettre ce maudit bébé dans la citerne de la voisine. En somme il ne faisait que reprendre celle, l’idée, de la mystérieuse personne qui leur avait fait ce triste cadeau, sans se douter du drame qui allait éclater. Il avait simplement choisi une terrasse facile d’accès car il devait agir rapidement et sans être vu.

-          - B’en dis donc Toan, c’est vraiment étrange, il y a une semaine c’est notre eau qui sentait mauvais. Mon Dieu !

La justice se montra clémente sinon compréhensive envers la jeune belle-fille, celle-ci perdant progressivement la raison. Elle voyait des démons partout.

Quelques jours plus tard Trang rentra à la maison avec des graines d’asarine grimpante qu’elle planta dans le grand pot que Toan avait récemment acheté.

-          Elles ont besoin de beaucoup de terre ! 

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