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Au gré de la plume
29 septembre 2017

Jeudi, - 12

 

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L.T.

P.S.: jeudi matin, 08h00. Les peintres arrivent au bout de leur travail. Nous leur donnons encore quatre jours avant de réinstaller les panneaux (contre les barrières) du balcon, panneaux qui attendent en bas dans le local "vélo", fraîchement repeints. Dulcinée a aussi un projet pour ses rosiers, les mettre en terre, dehors, pas loin du parking "visiteurs". Ils pourraient y passer l'hiver sans souffrir du froid, ni mourir de soif. On ne remontera que quelques plantes sur le balcon, des qui ne "boivent" pas trop et qui survivront des pluies et de la neige à venir.

Depuis quelques jours je remets "en ligne" quelques vieilles écritures retrouvées "grâce" à mon nouvel ordinateur. Des textes maladroits et pleins de fautes. Entre une mise en situation et un pressentiment. Mettre de l'ordre dans mes affaires. Mes classeurs "administratifs" sont à jour. On ne sait jamais. Si je devais mourir brusquement d'un "je ne sais quoi", je suggère qu'on choisisse les solutions finales les plus simples, crémation, mes cendres, baouf, n'importe ou. Mais pas de rapatriement car je suis un citoyen du monde. Enfin, le choix le moins cher. Ce n'est qu'une suggestion.

17h00: retour de notre expédition (une des...) "achats de cadeaux" à emmener à Hanoi. 

...

 Parker

 

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 -          Campons, dit-il

-          14 ! Deux fois mon chiffre porte-bonheur. Étonnant qu’un grand garçon comme moi puisse prêter attention à des croyances aussi futiles. Pourtant cet élément accessoire a une longue histoire et un passé…biblique…, oserais-je, moi, misérable  fils de goyim, et si j’ai feuilleté le Coran, version française, je ne sais rien de la Mishna et de la Gemara. 

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-          Sept oui, impair passe ou manque…mais ce deux fois sept ? Ce gros “quatorze”?  

-          On dit bien “Beni-oui-oui” ou “biscuit”, “bicyclette”! Une manière naïve de doubler ma chance. Rien d’autre, ah! Si peut-être, en fouillant ma mémoire: oui c’est ainsi que je signais mes lettres à C.Raiffaisen :” T + C x 14…tendresse et caresse” car nous avions choisi de ne pas user le verbe “aimer” .

Je croque un pet de nonne et coiffe mon empirée. Le matin, au réveil, on se gratte sans se douter que des millions de bestioles s’accrochent à notre épiderme. Un bauge ! Ces salopes prieront Némésis toute la sainte journée, se reproduisant sur mon dos, rongeant, en intermède, cette chair “roseval”. Salomé n’y échappe pas, bien qu’elle croie fermement que cet énervant prurit fasse partie de sa condition canine. Elle a un peu raison, ces parasites ne sont-ils pas une part de nous-mêmes? Comment savoir qu’on est en bonne santé,… ne l’ayant jamais été? Wittgenstein en aurait perdu la joie de vivre en fouillant le sujet. Touchant de lire que cet illustre mathématicien et philosophe déprimait à longueur d’année. A ce propos, aux risques de lasser ou de me perdre en confusion,  je voudrais dire quelques mots de Melville, de Zola, de Poe et de London.

 

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Le premier fut atterré en apprenant l’incendie (1853) des entrepôts de son éditeur newyorkais. Tous ses livres brûlèrent et personne ne risqua une ré-impression. Chacun croit connaître son “chef d’oeuvre” : Moby Dick (1851) mais le livre se vendit mal en son temps.

En 1856 l’écrivain Melville sombre dans l’oubli et l’homme dans la tristesse, entre sa pipe et sa cheminée. En 61 éclate la Guerre de Sécession. Quinze ans qu’Edgar Poe est mort, premier authentique écrivain américain.

Le deuxième, Zola, est un bourgeois et un menteur. Son épouse le voit quitter leur maison de Medan, au bord de la Seine,  il s’en va retrouver leur ancienne lingère qui lui a fait deux enfants presqu’en secret. Il les a installés à quelques centaines de mètres de sa fameuse résidence. Madame Zola laisse retomber le rideau et prépare le menu du soir.

Lui tire son coup avant de rentrer souper et tenir salon.

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 L’Assomoir, Nana (nom du bateau de Maupassant), Germinal….l’auteur est certainement génial mais il reste un bourgeois qui connaît mal le monde du travail, contrairement à la légende qu’il a soigneusement entretenu. Les intellectuels et les leaders syndicalistes y trouvèrent du pain et des jeux pour le bon peuple de France, les ouvriers? Il s’en fiche. Car là n’est pas l’important. "Modelables" en tout temps et lieux.

E.Poe? Un type qui haïssait son step-father. 

Le dernier : Jack London. Comme Edgar Poe, London ne connaîtra jamais son géniteur, comme Melville il naviguera sur les océans, comme Zola (1896-1901)  il s’embarque en “politique” (1905). Certains prétendent qu’il s’est suicidé en 1916.

Zola observe, London et Melville parlent de “vécu”. Poe invente. Tous dépriment.

Le français rondouillard gagne bien, Melville compte ses sous, London et Poe ont crevé de misère. Pitoyables ces lettres d’Edgar qui mendient un peu d’argent aux uns et aux autres. Et Melville …forcé de retourner travailler aux douanes!

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Peut-on lire un roman sans tenter de s’approcher de l’auteur, aimer ou non ses faiblesses ou pire …Tiens, une autre affaire, …….L.-F. Céline, A. Cohen….!    

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Wittgenstein se grattait-il en écoutant Bertrand Russell? Quant à moi je suis heureux de me cacher, sans faire de bruit, dans  l’ombre de ces positivistes austro-british (Cercle de Vienne et Université de Cambridge), distrètement honteux de mes ignorances. Ces fils de Platon et d’Aquin m’en bouchent un coin. Le langage n’est qu’un puzzle logique, l’essence est scientifique et le reste appartient à la mystique ou à l’émotion. Alea jacta est. Je ne sais toujours pas s’il faut être “savant” pour philosopher, intellectuel pour écrire convenablement, psychiâtre pour aimer soft et gynéco pour baiser hard. Ne quittons pas les mystiques sans faire un clin d’oeil à Simone Weil (1909 – 1943)! ….et  pour prier? Faut-il être moine ou prêtre? Suffit-il de tournicoter un moulin sur une froide montagne d’Orient? Si Clemens Twain, dit: Mark Twain, est un yankee (Tom Sawyer, Les Aventures d’Huckleberry Finn), Ch.Dickens, lui reste un britannique (Oliver Twist, David Copperfield). Difficile naissance d’une littérature “purement” américaine. Il faudra attendre Stephen Crane…The Open Boat ! A short story! Almost perfect! Dear!  

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C’est toujours pareil, je me laisse emporter par une vague,  je me perds…

Mon épouse est vietnamienne et travaille à l’OMS, enfin une de ses branchioles asiatiques. Depuis quelques années des étrangers lui sont régulièrement parachutés, le plus souvent comme “chefs” ou responsables de projets. Ces illuminés du XXIème siècle (en rien redevables à une Bavière du XVIIIème) appliquent des méthodes modernes et proches de celles si chères au Domaine privé. Le soir elle me parle d’objectifs trimestriels, de “team leaders”, de “line manager”, d’”appraisal” et même de marketing. Certes l’Organisation reste lourde et lente mais finalement elle m’apparaît plus efficace qu’une pleine brassée d’ONG. Moins hypocrite aussi. Tous roulent en 4x4, font du fitness dans un club et leurs enfants fréquentent des écoles internationales où ils côtoient quelques gratins de cette capitale en godillots: l’Industrie étrangère et la Classe medium-well de nantis autochtones.

En raison de l’action conjugée de plusieurs vecteurs aisément indentifiables, elle découvre le stress, les missions à l’étranger, les réunions interminables, les horaires extensibles, l’efficacité et les comptes à rendre…in time. Mais on la paie honnêtement. Quarante fois plus qu’un valet de ferme, trente fois un ouvrier d’usine. Et pourtant d’un mois l’autre nous dépensons tout son salaire. Ni elle ni moi ne tenons de livre. Quand l’argent manque vraiment elle change, au noir, un billet de cent dollars que je coince discrètement sous la lampe de chevet.

De mon côté je garde une modeste cagnotte au Crédit Lyonnais.

Il y a six mois nous avons vendu la petite maison de Buoi. Une excellente affaire. Au début Tran voulait la garder. La “liquider” fut ma seule condition lorsqu’elle décida d’acquérir ce nouveau terrain de l’autre côté du fleuve à fin d’y bâtir une “villa”. 

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Je me plaisais bien dans cette baraque de banlieue, de l'extérieur elle ressemblait aux autres, enfin ce n’est pas vrai car ici chacun construit selon son idée, son brin de mégalomanie…en général une colonnade à la romaine…, une entrée qui en jette, mais c’est surtout au sommet que l’originalité exulte: une terrasse couverte, grillagée, avec le réservoir d’eau en aluminium, dressé ou couché, la girouette qui n’est pas le chapeau d’une cheminée mais un aspirateur d’air ingénieusement conçu pour ventiler la cage à lapins. Chacun joue  avec les mêmes Lego mais on coince les pièces “aut’ment”.

Seul étranger du “ward”, les villageois me foutaient enfin la paix. Je ne saluais que les vieux et la vendeuse de soupe aux nouilles.

Au sol ces propriétés ne couvrent, en moyenne, qu’une cinquantaine de mètres presque carrés. La nôtre en faisait trois de large et quatorze de profondeur, sur trois étages quand même, avec une extension sur son derrière. Pour comprendre il faut imaginer un “L” inversé, c’est à dire que sa base regarderait à gauche et non à droite, presqu’un “J” mais sans l’arrondi.

 

On entre par le sommet du “ L ”, un mini “yard”, trois sur trois, où nous avions entassé des plantes vertes auxquelles j’ai pris l’habitude de parler, chaque matin.

C’est là que Salomé pissait et je balançais un large seau d’eau bouillante car l’odeur de l’urine vous prend vite les narines par ces trente quatre degrés. La chienne, en saine et jeune femelle, ne vide heureusement sa vessie que deux ou trois par jour.

Quand j’y réfléchis, mais je le fais de moins en moins, je crois que nous avons déménagé à cause ou pour elle. La pauvre manquait d’espace et nos promenades sont singulièrement limitées depuis qu’on nous interdit l’entrée du jardin botanique qui jouxte la Présidence.

 

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Le plus  difficile fut de trouver un acheteur solvable, enfin quelqu’un dont nous pouvions espérer qu’il verserait, le moment venu, la somme agréée..

J’encourageais Tran à abandonner nos meubles. Elle regretta sa cuisine, moi le salon. Ah! je me souviens du jour où on le livra et du cirque qu’il fallut pour pousser les fauteuils dans la pièce du premier! Du magasin, au téléphone, elle m’avait crié :

-          J’ai choisi les plus petits!

J’insistais pour que nous changions les portes et les fenêtres de la maison de Buoi avant de la céder à son nouveau propriétaire. Mon épouse n’arrivait pas à  comprendre la raison de ma conscience. Tout était bouffé par les insectes, gentiment…  dès notre arrivée ils s’y étaient mis,  sept ans auparavant. Je ne crois pas que ce soient des termites, qu’importe, ce furent de voraces grignoteuses (et parfois bruyantes, en les écoutant mastiquer j’imaginais leurs milliers de mini-mâchoires dans l’obscurité… Germinal!).

Elle s’indigna lorsque je rentrais avec six bidons de peinture, trois de couleur blanche, un de bleue et deux d’ocre léger. Tout ça équilibré sur un seul cyclo, moi à vélo, devant, me retournant de temps à autres pour m’assurer que mon convoyeur ne s’enfuie pas avec cette précieuse marchandise.

Efforts et dépenses inutiles, jugea-t-elle sévèrement, le marché ayant été conclu. Les maisons n’ont-elles pas d’âme? Il me paraissait indispensable de la quitter “proprement”. Enfin j’avais rêvé depuis longtemps de couvrir d’ocre la façade frontale et d’y peindre de fausses briques. 

Heureusement ma compagne avait déjà trop à faire sur le chantier de la villa. Tran  préféra confier l’ouvrage à une jeune femme architecte (bien évidemment recommandée par l’une de ses fidèles amies).

Le soir en quittant son bureau de l’OMS, rue Thi Nham, elle franchissait le grand pont et passait une heure ou deux à vérifier la progression des travaux, lachant péniblement l’argent suffisant à l’achat des matériaux indispensables pour le lendemain : ciment, sable, enfin ….. Le Samedi elle versait les salaires au contre-maître.

Nous avions dessiné un plan très simple:

             D’abord un grand socle pour refouler ou juguler une éventuelle montée du Fleuve Rouge. Sur ce piédestal : un salon-salle à manger éclairé par une vaste baie vitrée. Un large comptoir couvert d’une pièce de marbre cervelée le sépare du coin “labo-cuisine”. A l’arrière un water-closet et une pièce servant de buanderie, de garage à moto, vélos, d’étendage, de remise et de poulailler. Au milieu du rez, en  pyramide, une énorme CHEMINEE…le centre, l’axe de soutien et le coeur de la maison. Elle s’élance et traverse l’étage supérieur pour pointer au sommet du toit à quatre pentes où la coiffe une girouette, une élégante girouette, bien que la base soit en alu, le dessus est en fer forgé et représente un menure perché sur une seule patte. (L’autre forme un angle-flèche qui indique la direction du vent).

 

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A l’étage, l’escalier débouche sur une large pièce mansardée, notre atelier si j’ose…., meublée d’un chevalet, d’une large table basse très simple, de la vieille Singer sur ses pieds, d’un bureau et son ordinateur, d’une bibliothèque murale, d’un grand divan et d’une télévision. A l’arrière une salle de bain sépare les deux minuscules chambres où nous dormons. C’est tout.

Ici les pièces sont ensoleillées par de grosses lucarnes armées de solides barreaux. Les deux chambres ont un faux-plafond car ce sont les seules climatisées.

Sous la volige, d’épaisses plaques de polyéthylène garnissent les lattis. Elles nous protègent du froid et du chaud. L’apparence manque d’esthétique mais on y gagne en confort. 

Toujours à l’étage, de profondes armoires remplacent les murs intérieurs entre les deux chambres à coucher et la salle de bain.

Derrière la maison, une grosse niche cache un réservoir et le compresseur indispensable aux équipements sanitaires. Nous puisons l’eau à vingt mètres de profondeur comme autrefois à Buoi.

Des tuiles à la provençale couvrent les quatre pentes du toit. Près des lucarnes et malgré les réticences de mon épouse, nous avons posés des panneaux  solaires (les batteries sont ingénieusement dissimulées sur le faux-plafond).

Les murs de soutènement sont en moellons. Nous avons profité de notre expérience à Buoi et renoncé aux briques, espérant qu’ainsi la demeure reste fraîche même en “été”.

La villa est plantée au milieu d’un modeste terrain protégé par une éminente enceinte de pierres, haussée d’une répulsive rangée de méchants barbelés.

Certes le terrain  n’est pas bien vaste: trois cents mètres carrés mais la bâtisse n’en couvre que cent vingt. Salomé y trouve aujourd’hui son bonheur.

Les quelques arbustes sont encore jeunes. Le plus solide abrite le “coin à Bouddha”. J’y prie chaque matin. Mes plantes s’épanouissent sereinement.

Il y a un an, je ne me serais jamais  embarqué  dans  une pareille aventure. Mais voilà : je me suis remis à la peinture, tout d’abord des miniatures pas plus grandes qu’une carte postale, rien que des façades de maisons vietnamiennes comme on en découvre le long des vieilles rues de Ha Noï. Je me suis baladé avec mon Minolta et j’ai ensuite microscopiquement copiés mes clichés, à l’huile, au pinceau de Kinley 0,4. Le hasard me permit de rencontrer un homme étrange et inventif : Loucas. Pour être précis ma femme l’a connu à Vientiane où il logeait chez une de ses collègues. Celle-ci venait de “perdre” tragiquement son mari. Tran apprit plus tard qu’il s’était suicidé en s’endormant dans la neige.

Loucas semblait lui aussi perdu mais sans pensées morbides, simplement absent. Nous parlâmes de la Chine que je connais mal. Il arrivait de Shan Gai.

Il me raconta un morceau de sa vie, sa grande virée dans le Montana, sa visite au cimetière de Baltimore, sur la tombe d’E.Poe. Loucas avait vécut un temps au Canada, à Rimouski pas loin des baleines. Là, avec des amis, il monta un atelier d’artisanat, créant des objets de toutes sortes comme un coucou-pagode et surtout ces petites reproductions de façades frontales en plâtre, reproduisant toutes les architectures du monde. Il m’en offrit une. Un Palais vénitien. Je lui montrais alors mes “cartes postales” dans leur mignon petit cadre.

-          Et b’en voilà.

Ce fut son unique commentaire.

Je n’eus qu’un bref moment de scrupule, il s’évapora bien vite. Mes qualités ne sont pas celles d’un esprit créatif. Je me rassurais, convaincu que rares sont les innovateurs authentiques, on s’inspire toujours d’un prédécesseur, ou on l’aspire…. Merci Loucas….bonne route.

 Tran appela une amie. Son mari, artiste-peintre, survivait en traficotant un peu de tout. Il nous envoya deux étudiants de l’Ecole Nationale d’Art. Ceux-ci comprirent rapidement ce que j’attendais d’eux et sculptèrent des premiers moules en cire. Ils y coulèrent ensuite le plâtre. Une fois sêchées les façades furent décorées avec délicatesse imitant les détails de mes photos et des miniatures réalisées auparavant.

Depuis l’abandon de mes activités de “businessman” Tran craignait que je finisse par m’ennuyer. A Buoi j’avais vécu comme un moine ne faisant rien d’autre que le ménage, lire, écouter de la musique et écrire des lettres à quelques connaissances qui ne répondaient pas souvent.

Mon beau-père possède un “morceau” de maison en plein coeur des Trente Six Rues, trois pièces boudinées. Une de ses filles et son mari partagèrent cet appartement durant quelques années. Leurs affaires florissant ils s’établirent dans un district voisin, logeant convenablement au-dessus de leur commerce .

Les soeurs dénichèrent une “bonne”, une campagnarde, celle-ci partage désormais la vie du vieux monsieur. Cette femme vient d’une province proche de la capitale. Son mari alcoolique ne fiche rien. Elle ne rentre dans son village qu’une fois par mois pour ramener son maigre salaire et suivre la croissance et l’éducation des enfants.

 

Mon épouse avait réuni un “conseil de famille”. D’abord on ne pouvait plus laisser “seul” le grand’père. Le risque de voir la servante manipuler le vieil homme travaillait les cinq filles, bien que l’enjeu fut assez maigre, ridicule. Le projet ne leur coûterait pas un sous. “Nous” payerions une location. Et si le père mourait chacune recevrait une somme d’argent égale au cinquième de la valeur mobilière.

Mon beau-père, premier intéressé, s’enthousiasma…..ouvrir une boutique…à son âge! Il connaissait ma naturelle prudence, faisait confiance à sa fille, à ses qualités de gestionnaire, à son honnêteté viscérale.

“Nous” entreprîmes quelques travaux.

Sur le devant le menuisier posa une vitrine garnie d’un important cadre en bois joliment ciselé à l’ancienne. Par commodité, le père se replia sur les deux pièces arrières qui furent, elles aussi, sommairement rafraîchies.

Je couvrais les murs de la boutique de mes dizaines de miniatures avec chaque fois une petite étiquette: US$ 10.- TTC/ATI . Au centre nous installâmes de longues planches posées simplement sur trois solides chevalets. Nous y exposons les plâtres. Au fond de la boutique j’aménageais un atelier où nos deux premiers étudiants travaillent sous les yeux de la clientèle.

En matinée mon beau-père garde le magasin assis sur une minuscule chaise pliante, coincé devant la porte d’entrée. Il cause aux voisins, aux passants. La bonne sert le thé aux visiteurs et l’appelle lorsqu’un touriste semble vouloir acheter l’une ou l’autre de nos oeuvres.

J’arrive un peu avant midi car le vieux bonhomme s’offre une sieste après son repas. Salomé aboie quand quelqu’un entre et je fais alors le guide, discrètement.

A quatre heures mes étudiants-artisans s’installent et se mettent à l’ouvrage ce qui, comme je l’avais prévu, fascine les étrangers et les retient longuement.

Les débuts furent malgré tout laborieux. Mises à part le salaire des deux artisans et l’électricité nous n’avions heureusement que peu de frais fixes. Mon beau-père s’arrangeait avec la police du quartier. La location attendrait des jours meilleurs.

Et puis semaines après semaines nous nous fîmes un nom et même une modeste réputation. Il m’arrivait de passer dans des hôtels de luxe pour déposer des prospectus. J’en profitais pour démarcher le personnel des réceptions en leur promettant une commission sur les touristes qu’ils nous enverraient.

Je visitais aussi les ambassades où l’on me reçut poliment car j’étais étranger. Là encore je n’approchais que le personnel “indigène”.

Tran se chargea des grandes compagnies où elle a d’innombrables amies et d’anciennes camarades d’université.

Notre succès tient à l’aspect unique de nos objets que cela soit les mini-tableaux  ou les enluminures.

Mon “stock” de trois cents photos suffit largement. Et mes jeunes artistes prennent l’initiative de varier les couleurs, selon leur fantaisie ou ce qu’il reste sur leur palette, ce qui accentue cette impression d’originalité. J’ai conçu un cartonnage élégant et réduit qui ne devrait pas prendre beaucoup de place dans les valises des clients étrangers. Un certificat numéroté, signé par l’”artiste”, et la photo originale accompagnent la facture. Le Tout crée un brin de solennité et donne de l’importance à la transaction. Tout ça pour dix dollars!  

Evidemment les deux étudiants me présentèrent d’autres amis, camarades tout aussi nécessiteux. Tran les interviewa en profondeur. Nous avons mis en place un “tournus” qui couvre désormais la journée complète. Maintenant ils réalisent aussi leurs propres oeuvres, moi, je ne fais presque plus rien sinon baratiner les touristes. Ceux-ci paraissent heureux de faire escale dans une boutique propre où les prix ont affichés. Le thé ou le café leur permet de faire une pause, surtout en saison chaude. L’air est climatisé!

Personne ne les force à acheter. J’ai récemment convaincu mon beau-père et mon épouse de refaire les toilettes. La bonne a suivi mes conseils avec une attention presque dévote afin que ceux-ci restent toujours “étincelants”. D’ailleurs elle n’en avait jamais vu d’aussi propres.

De retour à leur hôtel les vacanciers français s’exclameront, en faisant le bilan du jour, : ”Dix dollars…soixante francs…et puis…t’as vu les chiottes!”

Le vieux règne en matinée, il s’exprime aisément en anglais et en français d’une voix fragile et complice. Les visiteurs se réjouissent de pouvoir papoter avec lui, le prennent en photo, son béret bien calé sur le front. Il invite ses amis à jouer aux échecs, c’est presque un seigneur, un seigneur qui avait tant espéré du pays, du régime, de l’avenir! Alors? Quelle revanche ….une devanture en chêne!

Mon rôle est plus modeste, vendeur de midi à quatre heures, je tiens les comptes avec une innocence helvétique ce qui nous permet de trouver un arrangement rapide et précis avec la brigade des impôts mais on me tient prudemment à l’écart de cette subtile négociation.

En fin de journée Yen débarque et regarde la télévision dans la chambre de son pépé. Fille unique, fruit d’un premier lit (ma femme et moi sommes d’“anciens divorcés”), elle n’a cours que le matin, l’administration scolaire ayant dû arranger deux “shifts” pour caser la masse des élèves.

Ses grands-parents paternels s’en occupent l’après-midi, le Mercredi soir et le Dimanche elle dort chez eux. 

A six heures mon épouse nous rejoint et nous partageons le repas préparé par la bonne. Les étudiants mangent avec nous. Moment de détente et de plaisanterie.

A sept heures on ferme. Tran et sa fille rentrent à motocyclette et je les suis avec mon VTT. Sur la fourche avant nous avons soudé une corbeille en métal et Salomé y trône fièrement, le cul sur un coussin moelleux. En chemin, vingt minutes, elle lance des regards condescendants au populo que nous croisons ou alors elle hume le vent…  peut-être bien les odeurs des restaurants sur le trottoir!

Mais c’est en traversant le vieux pont Doumer qu’elle triomphe, quand une campagnarde ou une autre me double en lançant : “Chào Da Lo Mé”  

La soirée nous appartient, courte et paisible. Je fais un grand feu même en saison chaude.

Les revenus de la boutique ne sont jamais élevés mais je me sens rassuré. Voilà pourquoi j’ai accepté qu’elle construise cette nouvelle maison. Il m’a fallu sacrifier le solde de mes dernières économies. Même si la vente de la “baraque” de Buoi nous a rapporté une somme coquette, ça ne suffisait pas.

Elle voulait une cuisine moderne, moi mes panneaux solaires et une majestueuse cheminée. Nous avons choisi des murs en pierre et un bois plus cher, garanti sans insectes…pour la charpente du toit et les armoires du premier.

Enfin nous avions renoncé à nos anciens meubles.

Le Samedi et le Dimanche nous “abandonnons” la boutique aux étudiants en art mais grâce à un système des plus simples je garde un certain contrôle des affaires. Depuis un mois nos “employés” sont associés au chiffre d’affaire.

On installe les chaises dans le jardin. L’an prochain nous aurons une tonnelle.

 

En ville,à deux pas, quelques boutiques tentent de nous copier. Tran réagit avec fureur mais je la rassure:

-          Ton père, moi comme étranger, on leur sert le thé…ils peuvent utiliser les Water, tu sais.., et puis on ne force pas la vente, tu verras,…et c’est climatisé!

 

Nous avons passé Noël à Sai Gon. Le 23 j’ai mangé avec un ami de passage, chez Bibi : salade d’endives aux noix, boudin aux pommes, fromages et cerises fraîches d’Australie. Un de mes anciens collègues et concurrents nous a offert le Chablis. Il voulait que je “remette” ça, que je travaille avec lui. Il y avait là quelques inconnus autour de la grande table d’hôtes. Bibi semble être le seul à comprendre que je ne sois plus tenté par le “monde des affaires”. Je me suis senti loin de leurs préoccupations.

Personne n’avait envie d’entendre mes théories sur la pédophilie. Rappel : à en lasser les plus braves, j’affirme que l’attraction subie par les étrangers envers les jeunes femmes asiatiques tient de la pédophilie. Elles font juste quinze ans quand elles en ont vingt, et trainent une fausse innocence, malgré elles mais jamais à leur insus. Certaines se rasent le pubis en conservant parfois, au sommet du Mont de Vénus, une fine moustache à la Hilter,….. plus ou moins longue…ou un V à la Churchill !

Personne n’écoute. Alors j’épargne ma fumeuse théorie sur le pourcentage des putes! Soixante quinze millions d’habitants dont sept cent mille prostituées (données OMS, 1997). Vingt et un pour cent de la population vit en ville. Mâles et femelles sont en nombre égal. Prenons en compte uniquement les femmes de quinze à quarante ans (40%) .C’est simple, simpliste?….une sur cinq fait des passes à l’occasion ou vous masse la zizounette à l’hôtel Machin!  

Bibi m’a donné les bouteilles que j’avais gagnées…enfin…en réalité j’avais gagné un vélo… à une loterie de charité organisée par le Consulat d’Australie à l’occasion des Fêtes de fin d’année.

Nous avons acheté quelques livres et une montre. Quelle surprise de tomber sur cette “nouvelle” de Melville :”Moi et ma cheminée”. Tran a compris en la lisant pourquoi j’avais tant insisté pour que nous placions cette envahissante tour de briques réfractaires  au “coeur” de notre nouvelle demeure.  

Dieu aimerait-il moins les femmes que nous autres hommes? Il porte une indéniable responsabilité, depuis le temps qu’elles courent pour combler leur handicap de départ!

Ma vie s’est organisée avec discipline.

 

L’éternité? On l’observe trop souvent comme une suite. Elle est pourtant si séduisante lorsqu’on tourne son regard en arrière, sans nostalgie, sans mélancolie, sans amertume, sans se tordre le cou, simplement en s’approchant d’un ancien, rien qu’en lisant sa biographie. La lecture de Zola, Poe, Melville et London prend une autre saveur en découvrant…leur compagne ou ce que furent leurs maniaqueries ou leurs doutes.

Je respire mieux dans cette “villa”, pourtant si éloignée de tout. Le matin Salomé et moi partons en promenade, avant l’éveil du jour.

J’aime ce moment où la nuit s’évapore. Sur le chemin nous ne croisons que des paysannes lourdement chargées de légumes et de fleurs. Elles ont dû se lever bien avant moi et ne rentreront chez elles qu’une fois leurs marchandises vendues. Et je ne sais pas ce qui les attend, le soir, en leur lointaine et sombre chaumière.

Au retour je prépare le petit-déjeuner. Yen boit un chocolat que je chauffe à la dernière minute. Alors elle y jette un glaçon pour l’avaler sans se brûler. Salomé et moi l’accompagnons ensuite jusqu’au portail. Tran apparaît un peu plus tard. Elle ne boit et ne mange rien. Je pose simplement sa trousse de “make up” sur la table.

 

Je sors sa moto du garage-buanderie-poulailler et la pousse devant l’entrée. Salomé lance de joyeux “au revoir” à sa maîtresse, insistant pour qu’elle n’oublie pas son casque.

Ensuite je fais le ménage, parfois rapidement et je prends une douche. Cette chienne imagine toujours qu’on va la laver. Elle a appris à reconnaître le bruit du baquet. La prudente se cache derrière un rideau! Et puis je m’installe à l’atelier pour retoucher quelques toiles, pour choisir des photos plus récentes, examinant nos derniers modèles. Je travaille sur mes ébauches de coucou-pagode et de jonques en bouteille.

A onze heures et demie nous quittons la maison. Certains prétendent que les chiens n’ont pas la notion de temps. Bien sûr, elle m’observe et sait très bien qu’après m’être changé, je sortirai le VTT. Et chaque jour elle bondit de joie devant ma bicyclette ne pouvant patienter que je l’installe dans sa corbeille métallique.

L’après-midi je m’échappe quelquefois de la boutique pour faire des achats. Un film en VCD, un magazine. Ou alors je m’arrête au Press Club le temps d’un café et d’une pâtisserie.

Voilà une semaine, une pressante envie de retrouver la noirceur de l’encre s’est imposée à mon esprit, sans que je m’en explique la raison. Refusant de lutter, j’ai cherché et finalement je me suis offert une Parker à cartouches. Ma mère aimait cette encre de Chine. Elle composait des paysages alpestres tout en pointillé. Etrange pour un peintre, même amateur…mais le suis-je encore (peintre ou amateur), je souffre de daltonisme. Les anglo-saxons disent “colour blind” ce qui m’apparaît bien ingrat envers Monsieur Dalton* qui fut l’un des leurs. L’expression anglaise permet, reconnaissons-le, une compréhension immédiate.

 

* John Dalton 1766-1844, l’anomalie dichromatique a été découverte en 1794. Il en était lui-même affecté, Marat souffrait, lui, d’une conjonctivite bilatérale chronique, Milton d’hydrocéphalie, Musset d’une hypersensibilité sensorielle (visuelle et auditive), Greco etait astigmate, Lewis Caroll, Clémeceau, Rousseau bégayaient...

 

Quelques amis, à qui j’avais offert une toile, m’ont qualifié de “postmoderne”. Quant à moi j’avoue volontiers la forte influence de Gauguin (pour les contours) et celle du Douanier Rousseau (le goût du détail et sa “naïve lourdeur”). “Peintre en carte postale” me convient.

En rentrant je cache ma Parker. Le lendemain j’écrivis une lettre à un vieil oncle, à la main….! Si mon écriture n’est pas harmonieuse, j’admirai malgré tout longuement la souplesse des lettres, l’harmonie parfois douteuse, l’incliné.…  J’aime le “ k ”.

Yen fêtera son anniversaire dans moins de huit jours. Par un étrange hasard elle me demanda si je possédais une “plume” et je lui répondis menteusement que non.

-          Pourquoi ? Tu en as besoin en classe?

-          Non mais j’aimerais bien en avoir une.

-          J’en ai vu en ville, de bonne qualité, pas des “made in China”, des avec une cartouche.

-          Une cartouche?

Il me fallut lui expliquer qu’on en trouvait avec un minuscule réservoir jetable en plastique. Ordinairement Yen précède les modes (la plume-réservoir à cartouches date de 1927!, celle à pompe : 1864, la première Parker : 1925) . Elle possède des jeux électroniques introuvables dans les commerces du pays. Sa mère l’habille avec discrétion lui permettant cependant une ou deux touches originales, un chemisier acheté en Europe, un foulard de marque ou une ceinture en métal doré. Malgré ses quinze ans la jeune fille préfère encore se ranger dans la masse plutôt que de risquer une provocation. Elle possède en effet un sens aigu de la pression environnante, du système dirais-je, du danger à jouer aux avant-postes.

Je ne l’aime pas. Je ne la déteste pas.

Parfois je crois avoir de la pitié. Enfant du divorce, balancée entre deux “familles”, traversant péniblement son adolescence, la pauvre … et sa mère qui la rabroue sans cesse pour un rien. Tran a un caractère vif et s’emporte en quelques secondes mais elle se  calme  aussi  sec. Il m’arrive  de  les  écouter se chamailler, sans comprendre car je refuse d’apprendre leur langue. Du rire aux larmes et des larmes aux rires.

Yen mange sa soupe le coude appuyé sur la table, la tête à dix centimètres de son bol. Elle parle la bouche pleine, largement ouverte. Quand elle boit son thé, elle en aspire des gorgées. Je vois l’estomac se gonfler d’air. Pourtant elle sait, elle est capable de faire un effort …. à l’étranger. On pourrait penser que son attitude est délibérée, une manière de manifester…Manifester quoi ?

Son appartenance à une “culture” ou plus simplement le refus de ce qui vient d’ailleurs? En même temps elle exprime une distance, presqu’un rejet de ce qui appartient à son pays. Elle admire une sorte d’Occident, un lointain géographique, pas en entier, la musique, normal, la technologie mais avant tout la qualité de l’organisation, le fait que des personnes aient prévu ceci ou cela. En avance ou par précaution. Pratiquement elle n’a que peu confiance dans ce qu’on invente ou produit par ici mais pourtant elle réagit devant le prix comme tous les siens, se tournant vers le “pas cher”.

Malgré les films américains qui nous innondent, elle imagine aussi un monde de blancs plus sûr, moins dangereux que le sien. Les mendiants et la pauvreté la répugnent.

Elle crache son dentifrice sans bien rincer le lavabo, ne remplace jamais le rouleau de papier …tousse et éternue sans mettre sa main devant la bouche, renifle sa morve.

Sa mère ne lui sert que des morceaux sans gras, pas de tomates cuites, parfois en salade. Rien ne vaut un hamburger ou un hot dog. Souvent je mange en vitesse, mais j’ai toujours mangé très rapidement, préférant commencer la vaisselle  que l’entendre  laper son potage. Je pense alors : ” Bon, qu’elle vive selon les coutumes de son pays, c’est son droit, mais il me reste le choix de quitter la table, c’est le mien”. Mère et fille ne se doutent-elles de rien?

L’autre soir la voià qui m’appelle…”Louis, Louis…” attendant naturellement que je monte à l’etage, sa mère lui crie :” Qu’est-ce qu’il y a…Louis, Louis?”.

 Finalement je grimpe et la voilà qui panique car elle a découvert un mille pattes au corps noir dont la rumeur dit qu’ils sont dangereusement allergiques.

-          Y’a qu’a gazer…je redesends et je remonte avec le spray.

 

J’aime Salomé mais je n’en voulais pas. Les deux l’ont ramenée un soir, sur la moto, il y a plus d’un an et demi. Petite boule noire, pattes et sourcils bruns! Collier d’argent.

Elle n’arrivait pas à gravir les marches de l’escalier et nous observait désespérément lorsque nous montions nous coucher en l’abandonnant à sa corbeille d’osier.

Je les avertis avec une certaine solennité :

-          C’est votre chien, je m’en occuperai, bien sûr, mais c’est votre chien.

Qu’importe si Yen me juge ringard. Elle a appris à se servir de moi lorsqu’elle cherche un objet, une paire de ciseaux, de la colle , elle sait que je vais trouver puisque je suis celui qui range.

Il m’a fallu du temps pour la chasser  hors de notre lit. Certes sa mère la gardait de son côté et se tenait prudemment au milieu.

Quand Yen n’était qu’une enfant, nous faisions l’amour à ses côtés, Tran tellement persuadée que sa fille ne put se réveiller, que son sommeil est profond. En repoussant cette jeune pubère dans sa propre chambre je n’ai agi que dans la logique de mon éducation. Il n’est pas nécessaire d’y trouver ou d’y chercher une explication plus complexe. Leur besoin, réciproque, d’un contact physique reste entier, fort. 

J’ai encore appris, compris devrais-je dire, que cette habitude de se coller, cette promiscuité dépasse le caprice ou la crainte de voir s’enfuir le temps, s’échapper un enfant. C’est un partage d’énergie mélé à une angoisse profonde mais vigousse.

En Europe nous vivons, nous vivions, avec la certitude d’une sécurité légitime, un droit qui nous protégerait plus que le cadenas de la porte ou que les barreaux des fenêtres.

Dans les pays en développement, chacun, pauvre ou riche, a conscience de la fragilité du peu qu’il possède. Les acquis ne sont pas éternels. Tout pivote sur un axe, celui du mal, je n’en sais rien, sur un rapport de force. Même un Ministre ne recrute pas son chauffeur sur concours ou par un appel publique.

Maintenant que nous avons quitté le quartier Buoi, que nous vivons de l’autre côté du fleuve, entourés de grillages et de barbelés, mère et fille sont malgré tout inquiètes, elles restent peureuses.

Avant nous habitions dans un village phagocyté par la ville, protégés par le voisinage. Pas un inconnu ne pouvait se faufiler sans qu’on l’aperçoive, la nuit peut-être, mais là le silence montait la garde. Et au moindre bruit suspect Tran bondissait, observait, attendait. Le voisin allume et fait une ronde, un chien gueule trop longtemps.

Combien de fois ne me suis-je pas levé pour inspecter les étages, vérifier que les portes soient bien verrouillées, un terrifiant gourdin à la main.

J’ai appris à monter et à descendre les marches dans la nuit noire, je sentais cette petite maison, les craquements,….mes mains caressaient ses contours, ses angles.

La maintenant tout est à refaire…et puis une certaine distance nous sépare de l’enceinte. Les deux oies, les canards et les poules sont prèts à sonner l’alarme.

A l’intérieur Salomé réagit toujours avec une promptitude sauvage, et elle aboye ou elle grogne. Ici des espaces séparent les “villas” les unes des autres. Les étrangers engagent des veilleurs de nuit et leurs effrayants bergers allemands rôdent dans les jardins. Un coin à riches pour les voleurs et autres bandits.

La chambre de Yen n’est qu’à deux pas de la nôtre, la porte reste ouverte, la chienne navigue d’une à l’autre. Son pas léger cliquète sur le parquet. Clique-clic, clique-clic,…..Parfois elle pousse un “Wourff” qu’elle ravale sans ouvrir la gueule, son dos se hérisse…menaçant, croit-elle!

Il n’y a pas que le karma ou la possessivité d’une mère. Certaines nuits Tran disparaît et je sais qu’elle dort avec sa fille.

Je me répète: je n’aime pas l’enfant de ma compagne, est-ce une faute? Mais ça ne m’empêche pas d’être aimable et serviable. Je n’interviens jamais, je ne la corrige jamais,  c’est vrai, un mot m’échappe quelquefois et je le regrette vite :

-          Nha Que un jour, Nha Que toujours!

Je le lance en français bien que nous communiquions normalement en anglais. Tran me foudroie alors d’un regard aussi méchant et désespéré que ma cruelle et partiale sentence. Parce que j’ai dit vrai, parce qu’elle sait que sa fille ressemble à son pays, à son père, un con, à la famille et quoi d’extraordinaire à cela ? Sa mère voudrait qu’elle s’évade et en même temps elle comprend bien que son avenir se joue ici.

Je l’ai surnommée :” Morvonaso” et ça les amuse toutes les deux! Même la chienne comprend lorsque j’y vais de mon : “ Cherche, cherche…Morvonaso,…”.  Salomé fonce vers le portail espérant le retour de sa jeune maîtresse!

Et puis c’est aussi tout là le divorce, comment ne pas retrouver chez l’enfant cette autre moitié….repoussée, reniée?

Nous n’avons plus parlé  de cette plume à réservoir et je m’en sers discrètement la journée. J’ai gardé l’emballage de plastique transparent et la boîte de cartouches. L’écriture me paraît magique. Je joue avec “ma” Parker.

Au quotidien je ne me sers presqu’exclusivement(?) de l’ordinateur, alors ?

Je pourrais en acheter une deuxième, pour elle ou pour moi ?

Ce ne serait plus pareil, un cadeau doit être unique, ce que les autres n’ont pas, enfin, pas tous en même temps, pourtant…rien qu’une plume !          

J’hésite mais j’ai toujours aimé hésiter. Ma spontanéité? Existe-t-elle?

Ma pensée court et se perd, la voilà qui s’accroche à un mot tombé par hasard : mercantile! Pourquoi les chemins se sont-ils séparés?

Et puis elle ne prend soin de rien, ses camarades lui piquent ses affaires ou alors elle fait des échanges ce qui est de son âge. Elle la perdra ou la cassera.

Espérerais-je qu’elle apprenne à (aimer) écrire….des lettres ? Pendant les vacances il me faut la forcer pour qu’elle envoie un mot à son père, ce con, ou à ses grands-parents. Acheter une carte, coller le timbre, profiter d’un arrêt dans un bistrot, lui tendre mon….stylo…J’ai toujours un stylo dans la poche de ma chemise.

Une faveur! Elle ne sait rien du plaisir qu’on peut avoir en ouvrant une boîte à lettres. Sait-elle ce que c’est qu’une boîte à lettres?

Recevoir une plume-réservoir ne vous fait pas “écrivain”!

Voila que je m’évade à nouveau en songeant à cette nouvelle de Zola…perdue et qu’on a dû re-traduire du russe en français pour enfin la publier.

Mes doigts caressent cette plume, je la sens bien entre mes doigts, le pouce, l’index et le majeur. Vais-je la garder? Puis-je seulement la garder?

Ne devrais-je pas la ranger au fond d’un tiroir? L’oublier.

La jeter ?

Je m’installe à mon bureau et j’écris à ce vieux professeur qui étudie l’oeuvre d’Edith Stein. Je lui raconte l’histoire de cette Parker. Une autre lettre à un neurologue, connu il y a longtemps en Suisse. Un Guinéen exilé à Yaoundé au Cameroun. Quand il faisait sombre avant l’orage il nous balançait en riant :

-          On n’y voit pas plus que dans le trou du cul d’un nègre! Et il branchait la lumière.

-          Ah! Nous vou-a-là enf-fin au pays das blai-ancs!

Un admirateur du poëte-président L.S.Senghor, apôtre du métissage et chantre de la négritude. Il doit être à la retraite main’nant…mon neurologue. L’Afrique n’a pas de frontières. Senghor ne fut pas qu’un doux rêveur, il a malgré tout fait zigouiller quelques dizaines d’opposants! Au pied de la tombe on pardonne beaucoup! Qui sommes-nous pour absoudre?

 

Son anniversaire est dans quatre jours. La soeur de Tran nous invite au restaurant pour célébrer le prochain départ de son fils. Il a obtenu une bourse d’étude en Malaisie. Ma femme l’a aidé à  monter son dossier qui devait être examiné par des experts étrangers.

Je pourrais l’offrir à ce jeune garçon, le plus doué de la “tribu”. Un peu conventionnel, bon “pionnier”, premier de classe, docile et attentif. Maintes fois sa mère m’a questionné, ce qui était le mieux: rester au pays…accepter cette bourse… et j’ai toujours répondu avec conviction que rien de vaut une expérience au delà des frontières. Oui mais on lui a offert de devenir professeur dans son Université?

-          Plus tard, il sera toujours temps. A quoi bon avoir des professeurs qui n’ont jamais travaillé dans l’industrie? S’ils sont bons en théorie il leur manquera toujours cette réalité. Et puis il faut qu’il découvre comment pensent les “autres”, “ailleurs”. Pas uniquement les occidentaux, mais les gens de la région, les malais, les indiens, les singapouriens, les philippins.

Ici on pose souvent des questions mais les réponses n’ont pas une grande importance.

Le couple va se retrouver seul…premier face à face depuis vingt ans. Plus qu’en Europe, les familles sacrifient trop à leur progéniture, tant qu’elles en oublient leurs autres raisons de vivre.

Plus tard la maman reprendra son fils, lorsqu’il s’agira de mariage, d’un logement, d’un travail à dénicher ou d’un bébé à garder. Et lui infiltrera doucement le réseau de ses “vieux”. L’individualisme reste suspect, ce salopard de Confucius veille.   

Mais pour l’instant elle le perd. Et son mari s’emmerde dans un institut de recherche où personne ne trouve rien.

J’ai envie de lui offrir cette Parker et d’insister :

-          N’oublie pas de leur ecrire …

-          Oui, l’e-mail..

-          L’e-mail ne remplace pas une lettre qui arrive par surprise, ta mère la gardera dans son sac, elle la montrera à ses collègues, elle analysera l’écriture pour être certaine que tu ne crèves pas de faim. Rien qu’une carte postale!

Maintenant cette affaire de plume torture ma conscience. Sur le chemin du retour nous traversons les “Trente-Six Rues”. Impossible de marcher sur le trottoir. Motos, petits commerces ambulants ou simplement le propriétaire de la boutique, tous envahissent le pavé convaincus qu’il leur appartient. Les touristes s’extasient et  prennent des photos. Bande de cons! Ah! Je pense une seconde à ce droit de passage sur les rives du lac Léman.

Yen et moi, nous parlons parfois d’un film ou alors elle me demande de lui expliquer ce qu’elle a vu, lu ici et là, sans rien comprendre. Par exemple? D’où vient l’argent qui finance la télévision. Je me souviens alors lui avoir donné des chiffres astronomiques, les sommes payées par les compagnies pour un ‘spot’ diffusé pendant le Super Ball, aux Etats-Unis. Le montant ne signifie rien pour elle, les vietnamiens vous parle souvent d’un prix, dix mille, ah! non, cent mille, sans réaliser que ça fait dix fois plus, autrement dit: un an…dix ans de travail… Pardon dix ans…cent ans de travail.

Alors je reprends par le bas…

-          Yen ton père, il gagne combien?

-          J’sais pas, plus d’un million de dong (US$70)

-          Tu vois, là , on vient de manger trois pizzas, plus deux bières, une ”La Vie” et un Coca..

-          Et un café

-          Avec le service et plus, plus,…trois cent mille…eh! B’en…au moins une semaine de travail. Six jours à se lever le matin pour aller faire le guignol. Bon, la télévision locale! Coca Cola, La Vie, Sony, Samsung,…ne paient pas autant qu’en Amérique mais certainement, mille dollars au moins…cependant je ne crois pas que ça suffise...alors l’Etat donne le reste… pour payer les employés, pour acheter des caméras, pour envoyer un journaliste au Sea Games en Thailande ou ailleurs, pour passer un film étranger, pour payer un chanteur.

-          L’Etat?

-          L’Etat, enfin , les Big Bosses, les VIP, les communistes, les Toyota aux plaques bleues.

Yen connaît mon “point de vue” sur les communistes mais à mon avis, que personne ne sollicite, elle ne sait pas très bien de qui ou de quoi il s’agit. Pour elle, “ILS” symbolisent le “pouvoir”….une force incontournable… pour l’éternité. Un sujet secret, presque tabou…seuls les vieux osent une critique. Si le Parti ne recrute plus beaucoup il garde en main trois cartes maîtresses: l’art de la manipulation médiatique, ses services d’informations et l’école. Alors je pars sur une démonstration relativement naïve: la collecte des “impôts”, encore une notion bien vague pour la majorité, les “taxes”, les amendes que les policiers empochent aux carrefours.

-          Ton père, ? Et je fais un signe tordu de la main… se traduisant par “barboter du pognon”, je l’’accompagne d’un petit sifflement en deux temps.

-          Non, lui il est pas assez malin…

Elle rit.

Je lui laisse le bénéfice du doute, persuadé cependant que tous les officiers de police mangent de ce riz-la. Ces collègues ne toléreraient pas sa provocante intégrité. Et puis la chèvre broute là où on l’attache. Même Tran ramène de la bande adhésive, des feutres, du papier …piqués au bureau. Elle utilise sans remords son portable et, comme beaucoup, ne se gène pas pour envoyer des e-mail privés de son poste de travail. Mes Adidas sont fausses, mes chemises Cardin, mes Lewis. A partir de quand devient-on complice?

! La Parker ? Une fausse?  

A chaque fois mes explications naissent d’une logique de tolérance, elles ne jaillissent pas d’un coeur sincère. Impossible de lui parler du “monde” ou d’un écrivain. J’ai failli  avec “Le Petit Prince”, pourtant édité en version bilingue (sans mention de copyright).

J’ai réussi mystérieusement avec “Carmina Burana” de Carl Orff (un CD qui m’a coûté moins d’un dollar). Yen le passe à tue-tête (XVIeme). Enfin elle est profondément égocentrique. Étrangement je ne la blâme pas pour cette faiblesse, ne regrettant que son manque de générosité.

Suis-je en train de confondre un trait de caractère et le temps difficile qu’elle traverse? Peut-être.

Sa mère souhaite qu’elle grandisse à l’abri de tous les dangers et moi, en silence, je demeure convaincu qu’en s’exposant à la rudesse des jours, on jouit du bien, apprenant à préserver quelques moments de bonheur. Je le répète, ce n’est pas mon problème mais celui de son père et de sa mère…même si celui-là préfère jouer le rôle du grand frère, d’un complice?

 

Me prend-elle pour un con? Elle craint mon univers insaisissable et cependant elle m’étudie pour découvrir quelques clefs lui permettant de comprendre les autres, le monde des blancs. Ceux “d’ailleurs”, les “Western”…tay, tay, tay me crient les gamins!  

Il y a six ans lors d’un voyage en France j’avais trouvé un livre remarquable sur l’éducation sexuelle des enfants de sept à neuf ans. Au retour Tran en fit une traduction qu’elle garde depuis dans un  coin de son bureau. Autre tabou?

Le sujet effraie la mère. Et nous retombons sur nos deux approches : la sienne …préserver l’enfance aussi longtemps que possible, la mienne …s’exposer au plus tôt. Et puis ce qu’elle découvre avec ses camarades, au hasard d’un film, d’une lecture … manque d’objectivité, dejà règne la loi du plus malin, de l’”initié(e)” et celles de la vulgarité et du mensonge vantard.

Yen y pense mais ne s’exprime pas.

Nous vivons dans l’indifférence, nous co-habitons, un voisinage sans liens réels autres que ceux qu’imposent les lois de la survie et la promiscuité des jours. Son destin ne m’intéresse que là où il tamponne celui de mon épouse.

Puis-je aimer une femme sans aimer son enfant?

Parker! 

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Hier soir, pour une raison que j’ignore encore, Tran décide qu’il est temps d’ouvrir les cadeaux. La jeune fille bondit, soudainement impatiente.

La veille, chez son père, elle avait déjà célébré une première fois son anniversaire.

Yen était rentrée d’une humeur mitigée, hermétique.

Lorsqu’elle divorça, mon épouse fut extrêmement blessée par la décision du juge qui accordait la “garde” à son ex-mari. La belle-famille avait acheté le magistrat pour un plat de lentilles. La jurisprudence plaçait une barrière, bannissant toute tentative de fuite à l’étranger. Logique mais cruel. Les deux grands’pères se réunirent , le bon sens prévalut. L’adolescente passe cinq jours sur sept avec sa mère. Celle-ci se charge de tous les frais d’éducation, de son entretien et de sa santé.

Et d’une manière… inconsciente (?) la maman n’accepte pas que son enfant trouve quoique ce soit de meilleur…de l’autre côté, chez son “ex”.! 

La jeune fille ouvrit le plus gros paquet: une élégante veste rembourrée qu’elle essaya “à chaud”. Tran avait encore peint un paysage de montagne sous la neige, joliment encadré. Elle le fait pour chaque anniversaire, un motif différent.

Je tendis une épaisse enveloppe blanche.

Yen me lança un coup d’oeil vif :

-          J’sais ce que c’est!

Mon épouse parut encore plus curieuse que sa fille, ignorant toute l’histoire de “ma” Parker.

Elle me demanda plus tard combien je l’avais payée, considérant par avance que c’était trop cher, qu’elle la perdra. Je lui répondis qu’on ne donne pas le prix d’un cadeau.

Salomé s’acharne sur le papier de fête. Le chat Maalouf se gratte furieusement l’oreille.

Un chat ? Personne n’en avait encore parlé jusqu’ici.

Elles prononcent “Ma-lou” mais moi j’insiste sur les deux “a” et le “f”….Ma-a-louf !

Maalouf c’est ”mon” chat. Peut-être s’enfuira-t-il  aux temps des amours mais il reviendra tout maigre ou pire avec le choléra ….à bouffer…de vieux rats crevés et tout gonflés d’eau putride.

Il n’apparaît qu’en soirée et s’installe près de la cheminée où il se lèche d’interminables heures. Il lui arrive de squater chez les poules mais sans leur faire du mal, sans briser un seul oeuf. Son pelage est d’un beau gris-blanc, griffé de raies élancées, noires encre de Chine, presqu’un bébé tigre albinos.

 

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J’avais pensé le baptiser “Musil” comme cet homme de Carinthie qui mourut à Genève en 42.

Il y a bien des années, à Klagenfurt, j’ai dormi quelques nuits dans une maison où il vécut  brièvement. 

Ou alors Wojac!

Que fera-t-il durant notre absence. Nous allons fermer la maison pour quelques mois. Certes mon beau-frère Phong passera une fois par semaine et une voisine promet de s’occuper des poules, des oies et des canards. Elle veillera à ce que Maalouf ne manque de rien.

Me pardonnera-t-il cet abandon…temporaire? Sera-t-il jaloux que j’emmène Salomé pour cette longue croisière en bateau?

Tran sera aussi absente …un an! On l’envoie en formation a Oslo. 

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Pour l’instant j’impose “La Flûte enchantée” à mon petit monde. Yen pourra-t-elle un jour aimer Mozart? J’insiste pour qu’elle reste un moment de plus, le temps que nous arrivions à ce passage au triangle et aux clochettes. Je n’y connais rien mais j’aime qu’il ait osé ces si naïfs “ding, ding, dong….”. Elle est si joyeuse cette “Flûte..”.

Me revoilà à mon atelier, seul. Je travaille sur une vinaigrette découverte dans un vieux livre chinois, peu certain que ça intéresse mes touristes qui préfère les cyclos en fil de fer blanc ou ces horribles objets en boîtes de coca.

Un ami nous a ramené de Lao Cai un stock de tissus H’Mong. Mes photos sont devenues des cartes postales. Une de ses soeurs passera chaque jour à la boutique.        

Il est temps que je prépare ma valise et j’ai rendez-vous pour faire vacciner Salomé qui m’accompagnera dans ce long périple! La pauvre n’en sait rien. Pour l’instant elle s’est cachée derrière un rideau espérant qu’on oublie sa douche. Étrange : elle fuit l’eau mais elle adore  qu’on la foehne.

 

L.T./01.02 - 07.02/ 07.03

A mes cousines Jacqueline et Marie-Claude, décédées. 

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